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Conclusion
Au XVIIIème siècle la population de Saint-Mathurin était massivement composée de cultivateurs. Même si la bêche n’était pas leur seul instrument de travail, le nom de bêcheur désignant la plupart d’entre-eux est caractéristique, comme en Touraine, d’une région d’agriculture intensive produisant une récolte par an avec des rendements élevés. Ce résultat était le fruit d’un assolement judicieux alternant céréales d’hiver et cultures commerciales, et d’un bétail nombreux, lié à l’existence de grandes prairies naturelles, donnant quantités d’engrais et un revenu de complément non négligeable. Dans la partie occidentale de la Vallée d’Anjou, plus particulièrement étudiée dans ce mémoire, les vastes prairies naturelles étaient en grande partie des " communes ", ou communaux du comté de Beaufort. Les très nombreux documents sur ces communes, liés à leur fonctionnement, et aux conflits concernant leur propriété, permettent d’envisager de nombreuses recherches sur ce sujet. D’autant plus que les très riches archives du XIXème siècle (archives communales, séries O et M des A.D.M.L., cadastre) ont à peine été abordées.
Les sources sont aussi nombreuses concernant les communautés d’habitants. Les procès-verbaux d'’assemblées témoignent d’une vie sociale complexe, mais difficile à cerner, car on est mieux renseigné sur les décisions prises que sur les débats internes et les rapports de force.
La forte densité de population, liée aux pratiques agricoles, était une autre caractéristique des villages du comté de Beaufort. Les densités observées, 63 à 144 habitants au kilomètre carré en 1801 dans divers villages de la Vallée, et 117 à Saint-Mathurin en 1794, étaient exceptionnelles pour l’époque. La population augmenta encore un peu au XIXème siècle, pour atteindre un maximum entre 1826 et 1856. Mais la population de Beaufort stagnait déjà depuis la fin du XVIIIème siècle, et en 1901, les communes de l’ancien comté de Beaufort étaient toutes moins peuplées qu’en 1801, sauf Trélazé, qui se distinguait grâce à l’essor des carrières d’ardoises. En 1856 Saint-Mathurin comptait 2925 habitants, soit 146 habitants par kilomètre carré. En 1886, la commune ne comptait plus que 2260 habitants, et 1991 en 1901 (2228 habitants en 1999).
Diverses explications ont été avancées.
-D’abord l’arrivée de la ligne de chemin de fer Angers-Tours, qui traverse
la vallée d’est en ouest. Elle aurait contraint au départ les
mariniers. Cette explication tient pour Saint-Clément, mais pas pour
Saint-Mathurin où la population marinière était faible.
A moins que l’accroissement de la population au début du XIXe
siècle ne soit dû à une forte augmentation du nombre de
mariniers, ce qui reste à prouver. Par contre, avec l’arrivée
du train les cultivateurs de la vallée n’avaient plus l’avantage du coût
de transport exceptionnellement bas dont ils avaient bénéficié
grâce à la Loire. Ils se retrouvaient en concurrence avec des cultivateurs
d’autres régions, auxquels le train ouvrait de nouveaux marchés.
- Roger Dion avance qu’avec le partage des communaux la superficie cultivée maximale était atteinte, car il fallait bien maintenir des prairies pour nourrir le bétail. Vers 1840, " ce n’est pas seulement l’ère des usurpations qui est close, mais aussi celle des grands accroissements de population. La Vallée a fait son plein d’hommes ". Il explique la disparition des " bêcheurs " et la baisse de la population agricole à partir du milieu du XIXème siècle par la nécessité d’accroître la taille des exploitations. La concurrence éliminait les plus pauvres, qui pour beaucoup vont chercher du travail en ville, à chaque période de mauvaise récolte ou de mévente.
- Les plus pauvres étaient éliminés d’autant plus facilement, que privés des " communes " du comté, ils n’avaient plus que le droit de seconde herbe pour nourrir leur bétail. Ils ne pouvaient pas non plus s’installer à moindre coût en usurpant sur les communs. Les cultivateurs qui en avaient les moyens achetaient ou affermaient des prés, et s’enrichissaient grâce à l’essor du chanvre au XIXème siècle, lequel chanvre demande beaucoup d’engrais. Les autres partaient, car ils ne pouvaient plus nourrir le bétail nécessaire. L’effondrement des prix du chanvre à la fin du XIXème siècle amplifia encore ce phénomène, entrainant l’élimination des exploitations les plus fragiles.
Pour la nombreuse population de la vallée, la Loire était une préoccupation constante, à la fois une menace et une chance. Elle pouvait se révéler terriblement dangereuse et effrayante pour le " peuple de la levée " qui, même en habitant dans des hameaux éparpillés à plusieurs kilomètres du fleuve, savait que sa sécurité dépendait de la solidité de la digue.
Mais elle favorisait pourtant l’économie locale. Certes, à Saint-Mathurin les mariniers étaient beaucoup moins nombreux qu’à Saint-Clément-des-Levées. Mais grâce au faible coût des transports par voies d’eau, la Loire contribua jusqu’au XIXème siècle à la prospérité de l’agriculture en permettant l’exportation des fèves et des céréales. Elle mettait les habitants de la Vallée d’Anjou en contact avec Paris, Nantes, le Massif Central et même l’Outremer. Il faut aussi noter l’importance de la levée comme voie de communication. Cette excellente route, plane et pavée, passait par de nombreux bourgs peuplés, et, comme la Loire, facilitait les relations avec les grandes villes riveraines du fleuve.
L’Authion avait pour les habitants de Saint-Mathurin, une importance aussi grande que le fleuve. En effet, si la Loire restait, sauf cas exceptionnel des ruptures de la levée, cantonnée dans son lit mineur, l’Authion inondait très souvent la vallée. Certes, les prairies naturelles bénéficiaient des alluvions. Mais des inondations trop importantes ou trop longues gâtaient l’herbe des prés, endommageaient les récoltes ou empêchaient les semis. Le report du débouché de l’Authion dans la Loire à Sainte-Gemmes, qui avait été tenté au XVIIIème siècle, fut réalisé au début du XIXème siècle. Ces travaux améliorèrent la situation, mais sans faire disparaître les inondations. En 1970, on estimait à 3200 hectares les terres inondées dans toute la Vallée d’Anjou lors d’une crue d’emplitude moyenne (annuelle) comme celle de 1968; à 11000 hectares lors d’une crue quinquennale comme en 1966; et lors d’une crue exceptionnelle, comme en 1910, 18000 hectares !.
Mais en 1974 l’achèvement de la station d’exhaure des Ponts-de-Cé, destinée à rejeter les eaux de l’Authion dans la Loire grâce à des pompes d’une capacité de 60 m3/seconde, provoqua un changement radical. Les continuelles inondations de l’Authion disparurent, ce qui permit la mise en cultures des prairies de la vallée, notamment des prairies à seconde herbe, où le droit d’usage fut abandonné dans les années 1970.
Le changement était tel, que beaucoup d’habitants ont pu croire la vallée " Loire-Authion " définitivement à l’abri des crues. La Loire n’a pas rompu la levé depuis la grande inondation de 1856. Le souvenir de cette catastrophe et des précédentes tend naturellement à s’éloigner. Pourtant une telle catastrophe est toujours possible. En juin 1999, une équipe pluridisciplinaire chargée d’étudier les risques d’inondation en Loire moyenne, a estimé à 40 milliards de francs les dégâts que causerait actuellement une inondation semblable à celle de 1856. Aujourd’hui se développe une prise de conscience des risques liés à la Loire, qui s’accompagne d’un débat sur les aménagements nécessaires. Ce débat a entrainé la mise en œuvre du Plan Loire Grandeur Nature, chargé d’assurer la sécurité contre les inondations : système d’alerte lors des crues, contrôle des constructions en zone inondable, modélisation des risques d’inondations… L’importance de l’entretien de la levée a été rappelée. Mais le Plan Loire a aussi pour objectif de garantir la qualité de l’approvisionnement en eau, et de restaurer la richesse écologique en assurant un développement économique harmonieux. On appelle souvent la Loire le dernier fleuve sauvage d’Europe. Cette " sauvagerie " était au XVIIIème siècle bien contraignante pour les riverains qui franchissaient rarement le fleuve. Elle était surtout terrifiante, lorsqu’elle débordait de la levée en menaçant de la rompre. Elle est maintenant un atout touristique. Le cadre naturel, qui s’est maintenu souvent faute de ne pouvoir contenir davantage le fleuve, est devenu un patrimoine a protéger. La Loire est redevenue une préoccupation majeure des " vallerots ".