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4) L’école et l’instruction à Saint-Mathurin

Le patrimoine de l’école et le choix des enseignants.
La plus ancienne trace d’un enseignement remonte à la fin de 1399 ou au tout début du XVème siècle. Nous avons vu dans la partie concernant les origines de Saint-Mathurin, que l’assistant du chapelain de la chapelle de Saint-Mathurin devait « introduire en la foy les enfants qui illecques vendront et desquels il sera requis, c’est assavoir leur apprendre pour nyent le A. B. C. D., le Pater noster, Ave Maria, Credo, Benedicite, Te agimus, le Miseratur, le Confiteor, les Sanctus, les Agnus et le Dominus pronus, tant qu’ilz le sachent par cuer ».

En 1579 un nommé Germain Bichon tenait les écoles. En 1588 Antoine de Vallières, prêtre, était « maître des écoles de la paroisse », et en 1707 mourrait Jacques Damond, prêtre chapelain et principal du « collège ».1

Trois actes de nomination de maîtres d’école en 1766, 1768 et 1786, sont nos principales sources sur l’enseignement à Saint-Mathurin au XVIIIème siècle2. L’acte de 1768 est en annexe à la fin de ce mémoire, document 10 page 174. Nous disposons d’un quatrième acte, en 1747, mais beaucoup moins détaillé.

Les revenus de l’école.
L’acte de nomination de 1786 nous apprend que l’école du XVIIIème siècle devait son existence à une fondation du 25 janvier 1601, qui l’avait pourvue de divers biens destinés à payer le maître d’école. Devenu titulaire du « leg », il devait en percevoir lui-même les revenus. En 1792 ou 1793, ces biens consistaient en 27 boisselées de terres labourables, et une maison « composée d’une chambre basse et un grenier au dessus couverte d’ardoise en très mauvais état, même inhabitable avec une ouche contenant six à sept boisselées de terre compris l’emplacement des batiments », et affermée « à titre de moitié »3.Les 27 boisselées étaient affermées 160 livres, soit 5.9 livres par boisselées, un peu moins que la moyenne, mais des rentes étaient peut-être établies sur ces terres. D’après l’acte de nomination de 1786, les fermages à recevoir pour l’année échue montaient à 236 livres, ce qui correspondrait, la maison et les 6 ou 7 boisselées pouvant être affermés autour de 70 livres. On peut donc estimer à 230 livres environ le revenu du domaine de l’école à la veille de la Révolution. Nous verrons que le maître recevait aussi un peu d’argent des parents.

Les premières obligations rappelées au nouveau maître concernaient l’entretien du domaine de l’école. Il était tenu aux réparations locatives, devait en jouir « en bon père de famille », et devait payer les cens et rentes dus au comté, comme pour un bail. La nomination du maître d’école pouvait d’ailleurs être interprétée comme une passation de bail à ferme, en nature (le travail du maître), et de durée indéterminée. De plus, le maître « fera acquiter une grande et deux basses messes aux jours portés par la fondation. ».

La classe n’avait pas lieu dans des bâtiments dépendants de l’école, mais sans doute dans la maison du maître. Les actes de nomination n’en parlent pas.

Le choix du maître.
L’école était commune à Saint-Mathurin et La Marsaulaye. En 1766 et 1768, les maîtres étaient choisis par l’assemblée commune des deux communautés. Les procureurs de la fabrique et les desservants et vicaires avaient un rôle important, et figuraient en premier parmi les comparants, alors que les prêtres étaient, en temps normal, rarement présents aux assemblées. En 1768, l’assemblée était convoquée conjointement par le syndic de Saint-Mathurin et le procureur de fabrique. On reconnaissait donc un droit de regard sur le choix du maître, à la fois à la fabrique et aux prêtres. De plus, le desservant de Saint-Mathurin affirmait avoir le droit de présentation conjointement avec le vicaire et les deux procureurs de fabrique. En 1786 Mathurin Moreau prêtre de Cunault et Mathurin Chudeau prêtre de « Saint Michel de Sains » avaient la présentation de l’école « comme plus anciens prêtres originnaires dela ditte paroisse ». Cette année là, la nomination fut faite par Chudeau et les deux procureurs de fabrique sans recours à l’assemblée, dans la maison de Lecluze desservant « présent et consentant », mais sans intervention de sa part. Ces changements paraissent liés à la relecture de l’acte de fondation, suite à des problèmes avec ledit Moreau, ancien titulaire du « leg », qui ne comparut pas à la réunion.

L’assemblée en 1766 et 1768 se réservait le droit de renvoyer le maître en le prévenant 6 mois à l’avance. En 1786 les procureurs et l’ancien prêtre Chudeau ramenèrent le délai à un mois « au désir de laditte fondation ».

Les enseignants.
Une expérience professionnelle était appréciée. En 1747, les habitants choisssaient comme maître Jacques Hillairion Coquereau, prêtre. Ils « le connaissent depuis plusieurs année quil este dans leur par. [paroisse] en quallité de viquaire pour un bon prestre vigilent en ses fonctions et par les remontrances et instructions quil a fait aux enfants depuis le temps quil este en lad. par. soit par les cathéchismes et prières quil a enseigné a lad. jeunesse »4.

En 1766 ils nommaient René Mathurin Chaintrier, des Rosiers, qui avait « exerçé la profession de maitre decolle avec approbation depuis près de quinze ans, et par conséquent en estat d’enseigner les enfants confiés à ses soins ». En 1768 son remplaçant était « René Langlois serger habitant dudit Saint Mathurin » dont le père avait été maître d’école à Saint-Mathurin de 1748 à 1765, « et qui par luy mesme depuis plusieurs années exerce l’art d’enseigner à lire, écrire, et l’arithmetique à plusieurs enfants des susdits habitants. ».

En 1786 pour remplacer le sieur Moreau devenu curé de « Saint Maxentiolle de Cunault », on désigna Noël Charlot vicaire de Saint-Mathurin. Langlois, désigné comme « serger, maître d’école »5 au baptême de sa fille en 1770, exerçait en parallèle les deux professions. Très souvent demandé comme témoin dans les actes du notaire Rogeron jusqu’à la Révolution, il était désigné indifféremment de l’une ou l’autre profession, mais plutôt comme maître d’école dans les années 1780, y compris quand Moreau ou Charlot étaient en charge de l’école. Ce qui suggère qu’il continuait ses activités auprès des particuliers, soit chez lui, soit chez ses élèves. A sa mort en 1798, il était désigné comme « écrivain 6» (écrivain public ?).

Un sieur Blanchet « instituteur » apparaît dans le rôle d’imposition de La Marsaulaye en 1774, destiné à contribuer aux travaux d’aménagement de l’Authion7. L’absence d’autres documents ne nous permet pas de dire s’il a travaillé à son propre compte, comme Langlois l’a fait, ou pour l’école de Saint-Mathurin.

La classe commençait à sept heures du matin en été, et à huit heures en hiver. Elle reprenait à une heure l’après-midi. L’acte de nomination de 1786 précisait que chaque demi-journée durait deux heures. En 1766 et 1768, le mercredi était jour de congé, sauf en cas de jour de fête dans la semaine. En 1786, le jour de congé était le jeudi. En 1768 et 1786, les vacances étaient en octobre. Mais en 1766, elles étaient en août « mois des vacances comme plus commode à cause des travaux de la campagne. ». En 1786, «  depuis pâcques jusqu’au dit mois d’octobre le dit sieur Charlot [maître d’école] pourra, lorsqu’il sera content de ses écolliers leur accorder le mardy au soir pour congé de temps en temps ».

Le maître devait apprendre aux garçons à lire, à écrire, et leur enseigner l’arithmétique et la langue latine. En 1768 et 1786, il devait aussi « les enseigner avec douceur et attention à prier Dieu, nottre religion, le catéchisme ».

Il n’est question que des garçons dans les trois actes de nomination. Les filles étaient-elles pour autant totalement exclues de l’école ? Nous l’ignorons.
Le maître percevait une rétribution des écoliers, sauf pour six enfants pauvres (quatre de Saint-Mathurin et deux de La Marsaulaye) qu’il était tenu d’accueillir gratuitement, sur présentation d’un certificat de pauvreté accordé par les prêtres de Saint-Mathurin et les deux « procureurs syndics » en charge. On s’attendrait plutôt à voir ce rôle attribué aux procureurs de fabrique, mais le mot syndic est sans ambiguïté.

Les catégories, et les tarifs mensuels ont varié avec le temps.

- « pour ceux qui commenceront l’alphabet »
6 sols par mois en 1766 et 1768, 8 sols en 1786.
- « pour ceux qui liront dans les heures » (livres de prières)
8 sols en 1766 et1768, 10 sols en 1786
- « pour ceux qui liront dans le livre » (la Bible)
10 sols en 1766 et 1768, 12 sols en 1786.
- « pour ceux qui écriront »
15 sols en 1766.
- « pour ceux écriront et apprendront l’arithmétique »
20 sols en 1766, 15 sols en 1768, 18 sols en 1786.
- « pour ceux qui apprendront le latin »
30 sols en 1766, 20 sols en 1768, 25 sols en 1786.
- « pour ceux qui feront des vers et seront en estat d’aller en troisième dans l’an »
40 sols en 1766.

En 1768 et 1786, il était précisé que le maître « s’oblige de faire répéter par cœur les enfants qui voudront commencer à apprendre la langue latinne, dans le rudiment, la grammaire et methodes et plus avant ».

L’alphabétisation des adultes.
Dans les actes d’assemblées de 1766 et 1768, les habitants exprimaient de manière identique leur attachement à l’école : « il leur seroit prejudiciable et aux enfants des dittes paroisses d’estre privés de l’éducation tem pour les pauvres que pour ceux qui peuvent avoir le moyen et qui cependent ne pourroient éloigner d’eux leurs enfants à cause des travaux continuels de la campagne », et qui ne pourraient donc pas les envoyer dans un internat.

L’acte de 1768 ajoutait « il est absolument nécessaire qu’il y ait un maitre-écolle dans laditte parroisse par bien des raisons la première que si laditte place venoit à vacquer pendent plusieurs années l’ignorance desja trop commune, ne feroit qu’augmenter. La seconde qu‘il est très nécessaire que les habitants des dittes paroisses sachent lire et écrire à cause du logement des troupes de sa majesté, et des ordres continuelles qu’ils sont sujets à recevoir de leurs procureurs sindics. ».

Mais en 1798, Daillé commissaire du directoire exécutif auprès de l’administration cantonale attribuait le faible nombre d’élèves de l’instituteur au « dégoût naturel des habitants pour ce qui s’appelle étude, et dans les travaux multipliés de l’agriculture auxquels ils emploient leurs enfants dès le plus bas âge »8. De ces divers documents, il ressort que les travaux des champs étaient un frein puissant à l’envoi des enfants à l’école. Le prix des leçons, de dix à onze livres par an pour apprendre à lire dans la Bible, 13.75 à 16.5 livres pour apprendre à écrire, étaient aussi un obstacle pour des familles modestes.

Les signatures des époux à leurs mariages sont notre principale source sur l’instruction de la population. Cette source est très partielle, car savoir signer son nom ne signifiait pas savoir écrire ni même savoir lire. Il semble en tout cas, d’après les motivations de l’assemblée de 1768 (pouvoir lire les instructions du syndic pour le logement des troupes), et d’après la graduation des tarifs pratiqués à l’école, que la lecture était largement plus courante que l’écriture. Il pouvait être utile de savoir lire un acte de vente, bail à ferme, ou testament. Mais il était moins important de savoir écrire, car ces actes étaient rédigés par le notaire.

Une lettre de Rogeron syndic municipal de La Marsaulaye le 6 février 1790 nous apprend d’autre part que sur 101 habitants présents à une assemblée pour procéder à une élection « il n’y en avoit que dix sept qui scussent signer et parmy ces dix sept il n’y en avoit que six ou sept qui sachent écrire (…) nous nous adressons à vous, Messieurs, pour savoir s’il faut procéder absolument par la voye du scrutin, en faisant écrire par des personnes choisies sur billets les noms de ceux que chacque particulier veut et propose de nommer, ou si l’on peut faire cette élection et nomination par acclamation »9.

Sur 17 participants qui savaient signer leur nom, seuls 6 ou 7 étaient capables d’écrire un autre nom que le leur sur un papier. La majorité ne savait donc pas écrire, mais dessiner son nom. Nous devons garder à l’esprit cette différence entre signer et écrire, maintenant que nous allons aborder les signatures des actes de mariages.

Les signatures dans les actes de mariage.
Au total, 48 hommes avaient signé à leur mariage, sur 322 mariages du premier janvier 1755 au 31 décembre 1771, soit 14.9%. Les épouses quant à elles étaient 22 à signer sur 321 (au lieu de 322, à cause d’un cas douteux), soit 6.8%. Ces chiffres sont légèrement inférieurs aux 16% et 7.8% trouvés par Yves Blayo entre 1760 et 1769 en Bretagne et Anjou, et très inférieurs aux 31.8% et 10.1% observés à Saint-Clément-des-Levées entre 1750 et 178910.

Voyons maintenant ces chiffres en fonction des professions. Sur les 291 époux dont la profession est connue, 45 signaient, soit 15.5%. Mais si 81.8% des commerçants signaient, seuls 10.34% des cultivateurs le faisaient, dont 6.45% des bêcheurs, et 26% des laboureurs et métayers. Les artisans étaient 22.2% à signer, mais de manière très inégale. Meuniers et tisserands signaient peu.

La même disparité se retrouve à Saint-Clément-des-Levées, où signaient 8.42% des cultivateurs (laboureurs et journaliers), 41.3% des artisans et 43.6% des mariniers.

Parmi les épouses, celles des cultivateurs étaient les plus mal loties. Elles représentaient 79.7% des épouses, mais 25% de celles qui signaient leur nom. Les épouses de bêcheurs étaient 1% à signer, celles des laboureurs 4.3%.
Par contre les femmes de chirurgien signaient toutes les quatre, ainsi que sept femmes de marchands sur dix. Il semble que plus l’écriture était courante dans un milieu, plus la différence entre le nombre d’hommes et de femmes signataires diminuait.

Tableau 10 : signatures des conjoints à leurs mariages selon les professions des époux. 1755-1771. D’après les B.M.S.

professions des époux

nombre de signataires et proportion.

total des mariages (profession de l’époux connue. 291 cas)

hommes

femmes

Bêcheurs

12 (6.45%)

2 (1%)

186

Laboureurs et métayer

12 (26%)

2 (4.3%)

46 (45 laboureurs, 1 métayer)

(CULTIVATEURS)

24(10.34%)

4 (1.7%)

232

Tisserands

   

8

Tanneurs

1

1

1

Tailleur de pierre

1

 

1

Taillandier

1

 

1

Maréchal Ferrant

 

1

1

Sabotiers

1

 

5

Menuisiers

1

 

2

Maître tonneliers

 

1

1

Cordonniers

   

2

Charpentiers

2

 

4

Meuniers

1

   

Charrons

   

2

(ARTISANS)

8 (22.2%)

3 (8.3%)

36

Marchands

8

7

10

Maîtres perruquiers

1

1

1

(COMMERCANTS)

9 (81.8%)

8 (72.7%)

11

Maîtres chirurgiens

4

4

4

Domestiques

   

3

Employés des gabelles

 

1

2

Ancien colporteur

   

1

Bateliers

   

1

Pêcheurs

   

1

(Divers)

4

5

(12)


 

graphiques 6, 7 et 8





NOTES DE BAS DE PAGE (WEB)

1 Célestin Port. Dictionnaire historique et biographique de Maine-et-Loire, article « Saint-Mathurin ». Dans les éditions du XIXe siècle. (Cite le chartrier du château du Verger.). D’après Port, dans les B.M.S. baptême par de Vallières le 24/4/1588.
2 A.D.M.L., 5E16/264. Assemblée de Saint-Mathurin et La Marsaulaye du 1/4/1766. 5E16/265 : assemblée du 6/3/1768. 5E16/275 : nomination du 10/11/1786.
3 A.D.M.L. : 1 Q 1225. « Domaines dépendant de l’école de Saint Mathurin suivant la déclaration de l’encien titulaire ». En 1792 ou 1793 car signé de Lorier, maire à cette période.
4 A.D.M.L., 5E16/16. Assemblée St-Mathurin-La Marsaulaye du 26/2/1747.
5 Archives de Saint-Mathurin, B.M.S. baptême de Marie Françoise Langlois le 28/10/1770 fille de « René Estienne Joseph Langlois »…dit René Langlois.
6 Archives de Saint-Mathurin, Etat civil. Le 29 floréal an 6 (18 mai 1798)
7 A.D.M.L., C 127. Sa contribution de 6 deniers était plutôt faible, mais il bénéficiait peut-être d’allégements d’impôts en raison de sa profession.
8 A.D.M.L., 1 L 272. Rapport du 6/1/1798. Le 9/6/1798, il donne aussi une autre explication : il se plaint de la concurrence que font à cet instituteur deux nouveaux habitants qui « s’ingèrent d’enseigner la jeunesse de la commune de maison en maison. ». Il les soupçonne de faire de la propagande contre-révolutionnaire.
9 A.D.M.L., C 316. Lettre de Rogeron 6/2/1790 aux administrateurs du district ou du département.
10 Yves Blayo « Données démographiques sur la Bretagne et l’Anjou de 1740 à 1829. » A.D.H. 1967, page 128.