pageweb12 Table des matières
Page précédente
page suivante

2) La valeur élevée de la terre.

Les actes de vente.
J’ai étudié plus particulièrement les actes de vente et les baux à ferme passés entre le 1er janvier 1786 et le 30 juin 1789 auprès du notaire Rogeron, de La Marsaulaye, et entre le 1er janvier 1787 et le 30 juin 1789 auprès du notaire Daillé de Saint-Mathurin. Rogeron était le principal notaire des deux communautés1.

Les actes de vente comme les baux à ferme respectaient un modèle qui variait peu d’un acte à l’autre, ou d’un notaire à l’autre.
Ils comportaient les noms, résidences et profession (sauf pour les femmes) des vendeurs et acquéreurs.

Les actes contenaient ensuite une description de l’objet de la vente, et souvent (surtout pour les actes passés devant le notaire Rogeron) précisaient l’origine des biens (héritage, achat…). Ils précisaient le canton ou le terroir (subdivision du canton) où était situé le bien concerné. Dans la plupart des cas, les propriétaires des terres voisines étaient désignés, ainsi que les boires ou les routes, pour mieux localiser la parcelle de terre.

Ces actes présentent pour nous l’intérêt de donner la superficie des terres, en boisselées, quartiers ou arpents, ce qui permet d’en calculer la valeur par unité de surface. Les bâtiments étaient assez bien décrits : nombre de chambres, à four ou cheminée, grenier au-dessus, type de toiture, parfois matériaux de construction.

L’entrée en possession avait habituellement lieu dès le jour de la vente, mais quand la terre était déjà ensemencée, l’entrée en jouissance était parfois reportée après la récolte. 2 De même certains vendeurs se réservaient l’abattage de quelques arbres. L’achat se faisait en argent, parfois en plusieurs fois, ou en partie par annulation d’une dette du vendeur. Le coût de l’acte était toujours à la charge de l’acquéreur (ou du locataire dans les baux à ferme).


L’acquéreur ou le locataire s’engageait à relever « en roture du fief et seigneurie du comté de Beaufort aux devoirs y accoutumés », montant à quelques deniers de cens par boisselée, parfois quelques sols, « en fresche avec autres quitte des arrerages du passé ». Nous avons vu que le cens en argent dû au comté était faible. Nous n’en tiendrons pas compte pour le calcul de la valeur de la terre.

Certaines de ces terres étaient soumises à des rentes dues à des particuliers, au comté de Beaufort, parfois à d’autres seigneuries (Beaulieu), plus souvent à l’hôpital de Beaufort ou à l’hôpital Saint-Jean d’Angers. La vente s’accompagnait du transfert de la rente aux nouveaux propriétaires, ce qui amoindrissait d’autant la valeur de la terre.

Un autre facteur de dépréciation était l’usage en indivis d’une parcelle, avec une part des revenus (1/3, la moitié...), situations héritées d’héritages non partagés, et qui étaient rares.

Sur 58 actes de vente de janvier 1786 à juin 1789, concernant des terres à Saint-Mathurin, 5 sont des contrats « à grâce ». Les vendeurs avaient pendant une période déterminée la faculté de « rémérrer », c’est à dire d’annuler la vente en remboursant le prix, les frais, et les fumures ou récoltes mis en terre. La durée de cette faculté était très variable : dans ces 5 cas , 2 fois 2 ans, 2 fois 3 ans, et 8 ans.

Dans 24 de ces 58 actes (41.4%), une rente était assise sur la terre. 6 actes sur 58 seulement comportaient une habitation, et 7 actes sur 58, un pré. Les terres dites « volantes », c’est à dire détachées d’une exploitation, représentaient 89.7% des actes de vente.

Quand la terre était déjà affermée, le nouveau propriétaire en continuait le bail, « si mieux il n’aime le faire résilier en dédommageant le dit Boulay [fermier] à ses frais, risques, périls et fortunes et sans retour vers le dit vendeur »3. L’essentiel était que le vendeur ne fut plus mis en cause en aucune manière pour ces terres.

Contenu et forme des baux à ferme.
La ferme à revenu fixe était à peu près le seul type d’exploitation pratiqué avec le faire-valoir direct. Le bail à moitié ne se rencontre que dans de très rares actes.4 Sur 91 baux à ferme passés entre le 1er janvier 1786 et le 30 juin 1789 auprès de Rogeron, et à partir du 1er janvier 1787 auprès de Daillé, et concernant Saint-Mathurin ou La Marsaulaye, aucun bail n’était « à moitié ». 16 baux étaient à « sous-ferme » (un premier fermier afferme la parcelle à son tour à un second fermier) et 10 étaient en nature. Certains baux étaient donnés « par adjudication », c’est à dire aux enchères, après annonce au prône de la messe paroissiale. Ce cas se présentait surtout pour l’affermage de biens appartenants à des enfants mineurs sous tutelle. L’enchère avait probablement pour but d’empêcher que les tuteurs n’afferment discrètement à bas prix en échange de dessous de table.

Dans 8 actes sur 91, le fermier a payé tout son fermage en une fois pour toutes les années. En contrepartie, il bénéficiait d’un prix plus favorable : ils payaient l’équivalent d’un fermage annuel compris entre 4 et 5.6 livres par boisselée, contre 6.96 livres par boisselée pour l’ensemble des 91 actes de la période.

La durée des baux était de :

1 ans ou moins dans 7.3% des cas
4 ans dans 2.4%
5 ans dans 29.3%
6 ans dans 2.4%
7 ans dans 40.3%
9 ans dans 18.3%
Les baux de 7, 5 et 9 ans dominaient largement.

Les baux inférieurs à une année trouvés ici correspondent à quelques baux à sous-ferme d’une durée de 7 mois, accordés en 1787 par le fermier de la terre de La Marsaulaye sur le point de résilier son propre bail. Je n’ai pas trouvé d’autres actes de même durée sur plusieurs centaines d’actes de 1757 à 1789.

Les baux de terres labourables et de maisons commençaient principalement à la Toussaint suivante, mais souvent aussi à la Toussaint précédente. Dans ce cas le fermier en avait parfois profité par convention orale auparavant, ou plus souvent les travaux de la terre n’étaient pas commencés. 5 actes font commencer la location une à trois années plus tard, et un acte à la Saint Gilles. Les prés étaient baillés « dès ce jour », à la Toussaint, ou à partir de mars.


Sur 91 baux, 30 comprenaient des maisons, 73 des parcelles détachées des maisons (parfois sur les mêmes baux que les maisons), et 9 des parcelles de pré (certaines à La Bohalle). 56 baux sur 91 (61%) ne concernaient que des terres labourables détachées de tout bâtiment d’exploitation, ces terres étant dites « volantes ». 18 baux sur 91 (soit 19%) comprenaient des rentes.

Les clauses dites conservatoires
Elles occupaient une grande place dans les baux, et nous apportent de nombreuses informations sur l’agriculture.Elles visaient à déterminer les droits et devoirs respectifs des deux parties, le principe de base étant que les biens ne devaient pas perdre de valeur pendant la durée du bail.

Le preneur s’obligeait habituellement « d’en jouir en bon père de famille sans y commettre ny souffrir qu’il y soit commis aucunes malversations ny dégradations au contraire de bêcher ou labourer, fumer, cultiver et ensemencer les dites terres bien et duement comme il appartient suivant l’usage du pays et sans les dessaisonner ». « Dessaisonner » ou « dessoler » signifie ne pas respecter l’assolement, ce qui pourrait être dommageable au fermier suivant, par exemple si du froment était semé deux années de suite, ce qui épuiserait le sol.

Pour les prés : le fermier devait « faucher et netoyer et etaupinner lesdits prés afin de les rendre plus fauchable ». Seuls certains actes précisaient que le bailleur devait fumer une ou deux fois les prés durant le bail. La pratique paraît généralisée, ce qui dispensait de le préciser dans tous les baux.

Pour les vignes et les arbres, il devait « bêcher, tailler, provigner et empaisseller les dites vignes en temps et lieux nécessaires ». Le preneur avait les prunes ou autres fruits, la feuille des ormeaux considérée comme une récolte, et une coupe des bois « emondables » pendant le bail, « en temps, sève et saison convenable ». Les arbres étaient émondés tous les 7 ans environ.

Le fermier devait, quand existait une clôture ou un fossé, « tenir et entretenir les dittes choses de leurs clôtures ordinaires soit de hayes, fossés ou autrement », « entretenir les dits batiments en bon état de réparation auxquelles pareils fermiers sont ordinairement tenus suivant l’usage du pays ». Le preneur était tenu seulement de rendre les bâtiments dans l’état où il les avait trouvés.

Les variantes.
Ces obligations étaient les plus courantes, mais de nombreuses variantes existaient, singularisant chaque acte par un détail.

Ainsi un bailleur se réservait le raisin des vignes et les noix des noyers, et demandait au preneur de planter les vignes et pruniers qu’il lui fournira.5 D’autres bailleurs se réservaient l’émonde des arbres, précisant alors qu’ils laissaient « la feuille d’ormeaux » aux preneurs.

Un autre précisait au sujet d’un morceau de terre labourable que le fermier n’était « tenû cependant de le fumer qu‘autant qu’il le jugera à propos, pourra même le desaisonner s’il le juge également à propos »6. Ailleurs, il était demandé à un fermier de boucher un trou dans une cour. Plusieurs fermiers devaient faire des journées de travail ou de « charrois » au profit des bailleurs sans autre salaire que la nourriture.7 Plusieurs baux demandaient aux locataires de faire des travaux de toiture, de rétablir les clôtures, replanter des haies, alors qu’ils n’étaient pas locataires auparavant. D’autres baux comprenaient dans le prix de la terre, des redevances en nature telles que des plats de poissons, ou des gâteaux.


Les pots de vin.
4 baux à ferme seulement sur 91 actes de 1786 à 1789 contenaient un « vin de marché », « deniers de Dieu » ou « pot de vin », sommes données en sus du fermage par le fermier. Dans ces 4 cas, le surplus représentait 1.5%, 14.3%, 5.4% et 4.6% du montant de la ferme sur l’ensemble du bail. De même certains baux de la métairie de la grande Tassinière à Saint-Mathurin, en 1757, comprenaient, au lieu de quelques poules ou de deux journées de fauche en complément du fermage en argent, quelques livres de « deniers blancs ». Le montant en était minime : 16 livres 3 sous pour des baux dont le fermage total s’élevait à 954 boisseaux de froment et fèves par moitié. 8 Les « pots de vin », courants dans d’autres parties de l’Anjou, ne l’étaient pas dans la Vallée d’Anjou à Saint-Mathurin comme dans les paroisses voisines.

La valeur de la terre et le montant des fermages.
Il est difficile de déterminer la valeur d’une terre à partir de baux « classiques », car comme nous l’avons vu, l’exception est plus courante que la règle. Les payements en nature, en argent, en journées de travail, les rentes en nature ou en argent, les obligations particulières se conjuguent pour compliquer le calcul. Malgré tout une minorité d’actes permet d’estimer la valeur et le revenu de la terre. Pour étudier la valeur de la terre, j’ai utilisé les actes de vente de parcelles non soumises à des rentes, car la valeur des biens soumis à des rentes diminuait en proportion. J’ai écarté quelques actes dont les clauses particulières risquaient de modifier le montant du fermage. Les mesures sont en boisselées du comté de Beaufort, à raison de 12 boisselées l’arpent d’Anjou de 0.659 hectares.
J’ai effectué des sondages sur diverses périodes, 1762-63, 1767-68, 1775-76, 1780-81 et 1786-89, essentiellement à travers les actes du notaire Rogeron. L’objectif était de voir l’évolution de la valeur de la terre et des fermages. Le nombre de baux sans rentes étant très variable selon les années, les exemples sont plus nombreux pour certaines périodes. Les actes de vente ou de fermage de prairies étant peu nombreux, les chiffres donnés sont moins surs que ceux concernant les terres labourables.


Les ordres de grandeur observés sur ces périodes, se retrouvent pour les terres sur lesquelles étaient assises des rentes, leurs valeurs étant réduites en proportion de l’importance de ces rentes. En moyenne, les rentes, quand elles existaient, représentaient 10 à 20% du fermage habituel sur une parcelle de même superficie, mais sans rentes. Mais les rentes pouvaient, dans certains cas, être supérieures aux fermages.


En 1776 le sieur Poupard de Mauru conseiller à la Sénéchaussée de Beaufort vendit 97 boisselées de terres labourables, ce qui explique le nombre important d’actes de vente trouvés à cette période.

Tableau 14. Prix de vente et prix de location des terres labourables et prairies exemptes de rentes à Saint-Mathurin. 1762-63, 1767-68, 1775-76, 1780-81 et 1786-89.

 

1762-17631

1767-17682

1775-17763

1780-17814

1786-17895

Location de terres labourables

nombre d’actes

13

13

9

5

39

superficie en boisselées

90.25

105

78

64.5

277.4

prix

296.5 livres

355 livres

376

442

1933

prix/boisselée

3.28 livres

3.38 livres

4.82 livres

6.85 livres

6.96 livres

Prix/arpent

39.36

40.56

57.84

82.2

83.52

Vente de terres labourables.

nombre d’actes

8

5

16

10

22

superficie en boisselées

22.75

14

103.25

29

79.25

prix

1104 livres

819 livres

15071 livres

3534 livres

9936 livres

prix/ boisselée

48.5 livres

58.5 livres

146 livres

121.7 l.

125.4 l.

prix/arpent

582 livres

702 livres

1751 livres

1460.4livres

1504.8livres

rapport prix de vente/ prix de location

14.79

17.3

30.28

17.116

18

location de prés regaignables/à 1ère herbe

nombre d’actes

1/1

5/4

 

 

 

superficie

12/6

119/38.5

 

 

 

prix

24/12

365/89.5

 

 

 

prix/boisselée

2 / 2

3.06/2.325

 

 

 

vente de prés regaignables/ à 1ère herbe

nombre d’actes

2/0

1/0

1 /2

0/1

0/4

superficie

5/0

5/0

6/10.5

0/3

/19

prix

224/0

280/0

506/670

0/60

/1465

prix/boisselée

44.8/0

56/0

84.33/63.8

0/53.33

0/77.10

prix/arpent

537.6/0

672/0

1012/765.6

0/640

0/925.2

1 A.D.M.L., 5E16/262, 5E16/263 et 5E16/23.2 A.D.M.L., 5E16/265.3 A.D.M.L., 5E16/269 et 5E16/151 (contient les actes de vente de Poupard de Mauru). 4 A.D.M.L., 5E16/271 et 5E16/2725 A.D.M.L., 5E16/275, 276, 277 et 5E16/56.


On constate une forte augmentation du prix de la terre entre 1768 et 1775. Cette augmentation suit la hausse du prix des blés, à partir de 1768-1770. Cette période de hausse correspond, en Anjou comme dans le reste de la France, à une série de mauvaises récoltes, causées par des étés pourris, des sécheresses, et des hivers rigoureux9. Le prix des terres, comme celui des blés, connut un léger repli après avoir atteint des maxima dans les années 1770. Le prix des terres passa de 600 à 700 livres par arpent dans les années 17760, à 1750 livres autour de 1775, pour redescendre à 1500 livres dans les années 1780. Les fermages suivirent la hausse avec un net retard. Résultat : le rapport de la valeur de la terre et des fermages, qui était de 17.3 (denier 17.3) en 1767-1768, passe à 30.28 en 1775-76, pour redescendre ensuite entre 17 et 18, une valeur plus habituelle.

Les baux de la métairie de la grande Tassinière à Saint-Mathurin suivirent une évolution plus proche de celle du prix des terres, que des autres fermages. Les 27 arpents 9 boisselées de la métairie étaient affermés, en 1729, 20 septiers de froment, 5 de blé « verronet », et 480 livres. La part en nature ne varia plus. Par contre le prix en argent, passa à 450 livres en 1746, 625 livres en 1756, 635 livres en 1765, et bondit à 1200 livres en 1774, et 1300 livres en 1783 et 179210.

La valeur des prairies augmenta aussi, mais moins nettement que celle des terres labourables.
Quatre des actes de vente cités plus haut indiquent à la fois le prix de vente et le prix de la ferme :

- 60 livres de ferme pour une terre vendue 1236 livres, soit 4,8%, le 20e de la valeur de la terre, appelé denier 2011.
- 12 livres pour 200 livres, soit 6%, denier 16.712
- 30 livres pour 500 livres, soit 6 %13 denier 16.7
- 2 livres pour 42 livres, soit 4,7 %, denier 2114

D’autre part en 1790 le maire des Rosiers affirmait que dans son village, les biens se vendaient au-dessous du denier 20. 15

La valeur de la terre était très élevée à Saint-Mathurin, ce qui s’explique par l’absence de jachère et par des rendements importants. En 1764, la valeur de la terre dans le village de Mettray en Touraine, au terroir fertile, était estimée à 200 livres par arpent16, contre 582 livres par arpent en 1762-1763 à Saint-Mathurin. A Chemillé en Anjou, les terres labourables des trois métairies du Palluau, de la Guenaudière et de la Gosserie, étaient estimées par expertise en moyenne à 126.6 , 214.17 et 143.96 livres par arpent en 177917, alors qu’à Saint-Mathurin les terres labourables (sans rentes) atteignaient 1460.4 livres par arpent en 1780-1781. Vers 1765, les meilleures terres des Mauges étaient affermées 11 à 12 livres par arpent18, et autour de 40 livres à Saint-Mathurin.

Seule la valeur des prés était proche de la moyenne. A Chemillé, les prés des trois métairies citées plus haut étaient estimés à 743, 1020 et 626 livres par arpent, contre 640 livres pour un pré soumis à un droit d’usage à Saint-Mathurin en 1780-1781. A Mettray en 1764, le rapport des prés était trois fois supérieur à celui des terres labourables. On peut donc estimer que leur valeur était approximativement de 600 livres par arpent, contre 537.6 livres par arpent, pour deux parcelles de prés regaignables en 1762-1763 à Saint-Mathurin.

Autre exemple : en 1787-1788 le chapitre de Saint-Gatien affermait en Touraine ses prés entre 70 et 90 livres par arpent, et certaines de ses terres 30 livres19. En 1786-1789, les terres labourables sans rentes étaient affermées 83.52 livres par arpent à Saint-Mathurin. Les prairies soumises à un droit de pâture, étaient vendues 925.2 livres par arpent. Si on estime le rapport des terres à 1 pour 18 comme pour les terres labourables, leur fermage devait rapporter 51.4 livres par arpent.

A Saint-Mathurin la valeur des prés était nettement inférieure à celle des terres cultivées, ce qui est très inhabituel, la valeur des prés étant habituellement trois à quatre fois supérieure à celle des terres cultivées. L’explication de cette situation particulière se trouve dans les vastes et fertiles communaux du comté de Beaufort, qui permettaient aux cultivateurs d’entretenir un nombreux bétail. Les prés à Saint-Mathurin paraissent de moindre valeur que ceux des autres paroisses, alors que les terres labourables y sont trois à quatre fois plus chères.


Les chiffres observés à Saint-Mathurin ne sont pas exceptionnels dans le Comté de Beaufort. Au contraire, les prix trouvés dans les nombreux actes des notaires de Saint-Mathurin et La Ménitré, concernant des terres labourables et prés en Vallée, dans les paroisses voisines de La Bohalle, Les Rosiers, Corné et Mazé, sont les mêmes qu’à Saint-Mathurin, et suivent les mêmes fluctuations. Tout au plus peut-on constater que les montants des fermages dans les prairies de Brain-sur-l’Authion, Corné et des Gravelles à Mazé, juste au nord de Saint-Mathurin, paraissent inférieurs d’environ 20% à ceux observés dans les prairies de Saint-Mathurin. Les fréquentes inondations de l’Authion dont Saint-Mathurin est plus éloigné, en sont sans doute la cause.

Stabilité et niveau élevé des fermages en nature.
Alors que le montant des fermages en argent doublait en vingt ans, et que la valeur des terres triplait en un peu plus d’une décennie (1762-63 à 1775-76), le montant des baux en nature restait particulièrement stable et uniforme dans les paroisses de la Vallée durant toute la période.

En 1757, 19 arpents 2 boisselées du domaine de la grande Tassinière à Saint-Mathurin étaient affermés à 12 sous-fermiers différents pour :

-953.5 boisseaux, dont 452.25 en froment, 24.5 en méteil, et 476.75 en fèves.
-8 journées de travail, le labour d’un arpent, 10 poules et poulets, et 16 livres 3 sols de « denier de dieu ».

Soit pour les grains qui représentaient l’essentiel des fermages, 49.75 boisseaux par arpent, les 12 baux étant établis sur la base de 48 ou 50 boisseaux par arpent.

De 1757 à 1789, les baux étudiés à Saint-Mathurin et dans les villages voisins (La Bohalle, Mazé, Corné, Les Rosiers), restèrent proches de 48 boisseaux (4 septiers) à l’arpent, moitié froment, moitié fèves. Ces baux montrent l’importance de l’alternance froment-fèves dans la Vallée.

Dans ces baux en nature, la part du fermage autre qu’en grain (journées, volaille…) était très secondaire quand elle existait. Si on excepte le « denier de Dieu », une seule redevance en argent et en grains a été notée (10 sols pour 38 boisseaux). Le complément le plus fréquent était l’ajout de deux volailles pour 48 boisseaux. Les rentes étaient aussi moitié en froment et moitié en fèves, et elles diminuaient le fermage en proportion de leur importance. Elles étaient d’ailleurs très peu nombreuses, car ces baux en nature concernaient souvent des terres appartenant à de grands domaines peu soumis à des rentes, les terres étant affermées par des marchands-fermiers.

Parfois le méteil, le seigle, ou l’orge apparaissaient dans les actes, l’orge à la place des fèves et le méteil ou le seigle à la place du froment, ce qui provoquait une augmentation du nombre de boisseaux, le méteil et le seigle étant de moindre valeur que le froment. Mais plus des 9/10ème des baux étaient à froment et fèves par moitié.

Le montant le plus élevé fut atteint en 1766, par 17 boisselées affermées 4 setiers de fèves, 2 de seigle et 2 de froment, soit 96 boisseaux, donc 67.8 boisseaux à l’arpent.

Tableau 15. Baux à ferme en nature, selon le nombre de boisseaux par arpent. 1757-1789.

Périodes des sondages

Nombre de baux, répartis en fonction de la valeur moyenne des redevances en nature.

 

inférieur à 48 boisseaux par arpent

48 boisseaux par arpent

supérieur à 48 boisseaux par arpent

1757, baux de la « grande Tassinière »20

 

2

10 (50bx)

1762-6321

4 (35bx, 42bx 45.3bx, 46bx,)

4

5 (52.4bx, 52.8bx, 54bx, 57bx, 64 bx)

176622

3 (30bx, 32bx, 44bx)


3 (51.4bx, 52bx, 67.8bx,)

1767-6823

2 (42bx, 45 bx)

3

3 (52bx, 52bx, 58bx,)

1775-177624

 

4

1 (50.33 bx)

1780-8125

1 (47.4 bx)

3

 

1787-6/1789.26

 

4

4(50bx, 53.33bx, 53.6bx, 54.75bx,)



On observe donc une stabilité des prélèvements en nature, que l’on peut opposer à la hausse des fermages en argent.


Tableau 16. Exemples de fermages en nature de 1787 à 178927.

Situation

Surface

Prix

Boisseaux à l‘arpent

Date

Saint-Mathurin
Canton de Breaud

13,5 boisselées en 5 morceaux

4 septiers
½froment ½ fèves

48 boisseaux

18/7/1787

La Marsaulaye

11 boisselées en 4 morceaux

48 boisseaux ½ froment, ½ fèves, + rente de 2,25 bx ½froment ½ fèves

52,36 boisseaux, 54,75 avec la rente

24/2/1788

Saint-Mathurin Terroir des Routes

3 boisselées

6 bx froment 6 bx fèves

48 boisseaux

16/5/1787

Saint-Mathurin Chemin de la Grange brûlée

6 boisselées

12.5 boisseaux froment, 12.5 boisseaux fèves

50 boisseaux

16/5/1787

Les Rosiers Canton des Fourcins

3 boisselées

6 bx froment 6 bx fèves

48 boisseaux

27/9/1787

Mazé, canton des Paisteries

5 boisselées

10 bx froment, 10 bx fèves

48 boisseaux

20/5/1789

Mazé, terroir des Clozeaux

4,5 boisselées

10 bx froment 10 bx fèves

53,33 boisseaux

25/3/1789

La Marsaulaye

10,75 boisselées en 5 morceaux

2 septiers froment 2 septiers fèves

53,6 boisseaux

7/6/1787


Les baux à ferme en nature montrent l’importance des rendements dans la Vallée.
Pour donner quelques points de comparaison, voici quelques exemples pris dans l’ouvrage de Brigitte Maillard : « Les campagnes de Touraine au 18e siècle ». Dans le village de Mettray, on procéda en 1764 à une évaluation des revenus de la terre, pour répartir une imposition en vue de faire des réparations à l’église. D’après cette estimation l’arpent de terre labourable rapportait au propriétaire 25 boisseaux de froment et un setier (12 boisseaux) d’avoine, le tout évalué à 30 livres, et à répartir sur 3 ans à cause de l’assolement triennal. Ce qui revenait à un rapport moyen de 12,3 boisseaux par arpent et par an.

Au milieu du XVIIIème siècle dans la métairie de Marcillé à Saint-Epain, également en Touraine, le bail à mi-fruit fut abandonné pour un bail en nature de 20 boisseaux par arpent cultivé, soit le double de la semence. Cela donnait une moyenne annuelle de 6,7 ou 10 boisseaux à l’arpent, suivant que l’assolement était triennal ou biennal. Ce prix élevé provoqua le départ de la plupart des fermiers. Le tarif de 12 boisseaux (1 septier) par arpent effectivement ensemencé paraît plus fréquent.28

Le loyer annuel exigé à Saint-Mathurin, de 48 boisseaux en moyenne, était 4 fois supérieur en volume à celui exigé à Mettray ou dans d’autres villages de Touraine. Mais les fermages étant à Saint-Mathurin pour moitié en fèves, leur valeur n’était pas quatre fois supérieur, car la valeur du boisseau de fèves était estimée entre 50 et 80% du boisseau de froment29. Les fermages étaient quand même très élevés. La part en froment des baux en nature à Saint-Mathurin, de 25 boisseaux par an en moyenne, aurait suffit à décourager des fermiers de Mettray.


NOTES DE BAS DE PAGE (WEB)

1 A.D.M.L., 5E16/56 (Minutes Daillé), 5E16/ 275, 276 et 277 (Rogeron).
2 A.D.M.L., exemple : 5E16/277. Contrat de vente Normand à Lebouvier, 22/3/1789 « pleine propriété dès ce jour et en jouissance sitôt la récolte levée soit en grains, soit en fruits de vendanges pour cette année seulement » .
3 A.D.M.L., 5E16/276. Contrat de vente Sibilleau à Trigneau, 29/11/1787.
4 2 cas relevés : A.D.M.L., 5E16/277. Contrat de vente Boisnard à Thoisnault, 7/6/1789. 6 boissellées de terres labourables dont jouit un fermier « à titre de moitié par convention verbale ». A.D.M.L., 1Q1225. Domaines de l’école de Saint-Mathurin : un maison et 6 boisselées « à titre de moitié ».
5 A.D.M.L., 5E16/276. Bail Pierre à Normand, 10/6/1787.
6 A.D.M.L., 5E16/276. Bail Camus à Joulain, 30/9/1787.
7 A.D.M.L., 5E16/276. Bail Dlle Esmery à Gendron, 10/7/1788. Ce type de redevances sous forme de travaux était principalement demandé par les riches laboureurs ou « marchand fermiers ».
8 A.D.M.L., 5E16/260. baux des 4 et 5/8/1757.
9 François Lebrun. Les hommes et la mort en Anjou aux 17e et 18e siècles. page 139.
10 A.D.M.L., 7Hs/B22 (17esiècle-1765) et 7Hs/N17. (1774 à 1792).
11 A.D.M.L., 5E16/276 : contrat de vente Pelissier à Moreau, 27/11/1787.
12 A.D.M.L., 5E16/56 : Contrat de vente Tessier à Pelé, 10/6/1787.
13 A.D.M.L., 5E 16/276 : Contrat de vente Goulu à Pierre, 5/2/1788.
14 A.D.M.L., 5E16/276, contrat de vente Ollivier à Pierre, 18/10/1788.
15 A.D.M.L., O/192. Lettre de Tessier du Mottay à la municipalité de Beaufort. 17/9/1790.
16 Brigitte Maillard. Les campagnes de Touraine au XVIIIe siècle. page 417.
17 A.D.M.L., 1 B 993, expertises. Ressort du Présidial d’Angers.
18 François Lebrun, op. cit. page 47.
19 Brigitte Maillard, op. cit. page 416.
20 A.D.M.L., 5E16/260.
21 A.D.M.L., 5E16/262 et 5E16/263.
22 A.D.M.L., 5E16/264.
23 A.D.M.L., 5E16/265.
24 A.D.M.L., 5E16/269.
25 A.D.M.L., 5E16/271 et 5E16/272.
26 A.D.M.L., 5E16/276 et 5E16/277.
27 A.D.M.L., 5E16/276 et 5E16/277.
28 Brigitte Maillard, op. cit. pages 417 et 418.
29 Archives de Beaufort, HH4, HH5, HH6. Evaluations des prix des grains à Beaufort, 1754 à 1786.