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4)Le bétail et les prairies, à l’origine de la richesse de la Vallée.

Le bétail
Là encore, comme pour les terres cultivées, les archives révolutionnaires sont les seules à donner des informations quantitatives à l’échelle des communautés. Des états du bétail et du fourrage rédigés en l’an II par les municipaux de diverses communes de la Vallée donnent les chiffres suivants1 :

Tableau 18. Le bétail dans plusieurs villages de la Vallée, enquêtes de l’an II.

  Chevaux vaches bœufs moutons porcs
Saint-Mathurin
18 nivôse an II (7/1/1794)
451 615 60 639 22
La Marsaulaye
22 et 28 nivôse an II
278 331 18 12 moutons et cochons
La Bohalle 24 nivôse an II (13/1/1794) 347 306 34 217 40
La Daguenière
nivôse an II
126 205
veaux 17
? 41  
Andard
15 nivôse an II
139 432
veaux 39
36 11 22
Brain-sur-l’Authion
10 et 12 nivôse an II
211
43 poulains
700

123 tores

29 20

Saint-Mathurin, La Marsaulaye et La Bohalle employaient des chevaux en très grand nombre pour l’agriculture, alors que les bœufs n’occupaient plus qu’une part très secondaire. Le document de Saint-Mathurin prétend que les chevaux servaient tous à l’agriculture, peut-être pour éviter les réquisitions. L’élevage bovin était malgré tout très important, à cause des nombreuses vaches, surtout au nord de la Vallée. L’élevage ovin, important à Saint-Mathurin, paraît très faible partout ailleurs sauf à La Bohalle. L’explication pourrait être que ces ovins appartenaient à quelques individus seulement, résidant à Saint-Mathurin, et en possédant une grande quantité. On peut y voir aussi le résultat d’un recensement défectueux.

Le nombre important de chevaux, et la marginalité des bœufs, n’étaient pas habituels dans le Maine-et-Loire : en 1802 le préfet évaluait le nombre de bœuf à plus de 50 000 bêtes (plus 12 à 15000 élèves), les vaches à plus de 100 000, et les chevaux entre 16 et 20 0002.


Tessier du Mottay, receveur de Monsieur dans le comté de Beaufort, expliquait en 1779 que la part respective des bœufs et des chevaux s’était modifiée au profit de ces derniers, à cause de la hausse du prix des grains qui entraînait la mise en labour de prairies :

Il demandait conseil au surintendant de Monsieur, au sujet d’une corvée évaluée en 1623 en journées de bœufs : « Les métaïers qui labourent avec des chevaux doivent-ils la corvée ? Dans le plus grand nombre des paroisses du comté, les charrues ne sont plus attelées que de chevaux. La cherté des grains a fait labourer les prés en Vallée ; il reste peu de pâtures à bœuf. Les laboureurs ont pris le parti de se servir de mauvais chevaux qui font le travail presque sans dépense au moïen de ce qu’ils les envoyent pacager les communes ».3Dans les inventaires avant décès à Saint-Mathurin, les chevaux étaient estimés autour de 30 livres avant la sécheresse de 1785, et autour de 80 livres en 1786 et 1787. En comparaison, à Savonnières ou à Berthenay en Touraine, un cheval de labour valait en 1790 entre 150 et 300 livres4.

Les chiffres donnés par les municipalités pendant la Révolution sont à prendre comme des minima pour le XVIIIème siècle. Les réquisitions furent nombreuses pendant cette période, et d’autre part la crainte de ces réquisitions n’incitait pas les cultivateurs à déclarer leurs biens avec zèle. En mai 1793 la municipalité voisine de Beaufort, répondant à une réquisition de chevaux, se plaignait qu’elle ne pouvait y répondre qu’aux dépends de l’agriculture, et demandait : « au nom de l’humanité envoyez nous ceux [les chevaux] qui font le service depuis le d. jour 14 avril, la plupart d’entre eux sont ici d’une nécessité indispensable »5 Les administrateurs du département avaient conscience du poids très lourd des réquisitions sur l’élevage du département. Ils écrivirent le 12 ventôse an II (2 mars 1794) à ceux du district6 : « La subsistance de l’armée enlève journellement à l’agriculture une quantité considérable de bœufs, le défaut de fourrage a forcé dans quelques cantons les cultivateurs à vendre partie de leurs bestiaux, la fatigue et les courses de la Vendée en ont fait périr un grands nombre, de sorte que le département est menacé d’une dépopulation dont on ne peut calculer les suite ». De sorte que l’on vendait pour la boucherie des veaux de 20 jours alors qu’il aurait fallut l’interdire avant 6 semaines.


Pourtant les chiffres donnés en l’an II sont très élevés. Les habitants de Saint-Mathurin et de La Marsaulaye possédaient 807 chevaux et bœufs sur 2000 hectares, soit 0.4 animaux par hectare. En Indre-et-Loire d’après une enquête de 1840, le chiffre moyen était de 0.06 bœufs et chevaux par hectares. En l’an II, les vaches étaient 946 à Saint-Mathurin et La Marsaulaye, soit 0.47 par hectare, contre 0.09 en Indre-et-Loire en 18407.

Dans un mémoire de 1820 destiné à défendre la propriété des communaux, les maires des 14 communes de l’ancien comté de Beaufort avançaient le chiffre de 80 000 à 100 000 têtes de bétail dans la Vallée.8

La volaille et le petit bétail apportaient un complément important.
Le nombre de cochons était très variable selon les saisons. Dans un document du 6 floréal an II, les officiers municipaux de Saint-Mathurin affirmaient : « Il ne s’est trouvé que de jeunes cochons que les cultivateurs ont usage de tuer et saller à l’âge de 8 à 9 mois au plus tard, les productions de notre commune ne permettent pas de faire des élèves qui passe une année ». Le 11 floréal an II (30 avril 1794) un dénombrement par habitant atteignait 14 cochons, tous de moins de 5 mois. Le 4 floréal an II les officiers municipaux de La Daguenière écrivaient « il n’y a pas 10 cochons dans toute notre commune encore ne sont-ce que des petits cochons de lait, les habitants des vallées n’ont pas coutume d’avoir beaucoup de ces animaux, ce ne sont que quelques particuliers qui en élèvent pour leur salaison et qui vont les acheter tous petits dans les communes voisines. » Or un autre document de la même commune daté du 13 vendémiaire an III dénombrait 133 cochons, possédés par plus de 100 particuliers.9 Cet élevage était bien saisonnier, mais pas aussi négligeable que voulaient le faire croire les municipalités.

La volaille de basse-cour était nombreuse dans la Vallée. En 1709, suite aux grands froids, l’auteur du « Cérémonial de l’église d’Angers » écrivit « on prétend que depuis Saint Mathurin jusqu’à Sorge, il est mort plus de 1500 oyes. »10

En 1790, un mémoire des habitants du comté pour la défense des « communes » explique :

« Et cet objet, particulièrement quant à la partie des oies, des canards & des œufs, n’est point aussi minutieux & aussi peu important, (ici nous discutons les intérêts de la classe malheureuse,) qu’on pourrait se le figurer. Presque tous ceux dont les habitations sont à la proximité des Communes, & qui ont moins de terrains en exploitation, ils forment un sixième des usagers, s’occupent à nourrir ces sortent de volailles (…) La plume qu’ils en retirent ajoute beaucoup à leurs profits qui les indemnise de ce qui leur manque du côté de l’exploitation ; & dans plusieurs paroisses, le tems de la vente de ces objets, est l’époque à laquelle les collecteurs des deniers royaux peuvent en effectuer le recouvrement »11

La répartition du bétail
L’enquête sur le bétail de nivôse an II
Déjà citée, cette enquête fournit pour La Marsaulaye la répartition du bétail citoyen par citoyen. La liste comprend 120 citoyens possédant au moins une vache, un cheval ou un bœuf, alors que La Marsaulaye ne comptait que 206 ménages selon l’enquête de 1790-91 sur la population indigente12. 58% des foyers auraient donc possédé du bétail. Les écarts étaient relativement réduits. 84% des personnes concernées possédaient au moins deux bêtes, et 7.5% en possédaient dix ou plus (le mieux pourvu avait dix-huit bêtes, le second treize bêtes). La moyenne était de 5.22 têtes de bétail par personne en possédant.

Malheureusement ce document n’indique pas les professions. Nous ne pouvons donc pas savoir, à travers cet acte, la répartition du bétail selon les professions, et voir par exemple quelle était la part des artisans ou des journaliers. De plus, l’enquête fut réalisée à une période où les réquisitions étaient fréquentes, et les troupeaux peut-être mal remis de la terrible sécheresse de 1785. Le nombre de foyers possédant du bétail était sans doute plus élevé avant 1785.

Les inventaires de biens meubles après décès.
Dans ces inventaires, le bétail était compté avec les biens meubles. Ils permettent donc de savoir le nombre et le type de bêtes selon les professions.

On connaît la profession de l’époux pour trente-sept inventaires de biens de communautés entre 1767 et 178713. Un inventaire concerne un maître de musique, trois concernent des artisans, cinq des journaliers, dix-huit des bêcheurs, dix des laboureurs et fermiers. Le mot fermier désignait souvent des individus appelés laboureurs dans d’autres actes (B.M.S., actes de vente ou de location). Cinq autres inventaires concernaient des parents hébergés chez leurs enfants. Ils n’ont pas été pris en compte, car ils ne regardaient pas des foyers pris dans leur ensemble (ces inventaires ne comportaient pas de bétail).


Alors que la majorité des bêcheurs et des journaliers n’exploitaient pas de prés, 17 bêcheurs sur 18, et 3 journaliers sur 5 avaient au moins une vache. Par contre aucun des 3 artisans n’avait de bétail. Les vaches étaient les animaux les mieux répartis. Les plus pauvres qui cultivaient eux-mêmes de petites parcelles avaient moins besoin d’un cheval, qu’ils pouvaient emprunter ou louer au besoin, que d’une vache qui toute l’année leur donnait du lait et de meilleures fumures. Comme nous l’avons déjà dit, plus de la moitié des bêcheurs avaient un cheval et une charrue. La principale différence entre une partie des bêcheurs et les laboureurs était donc, plus que le mode de culture de la terre, la richesse et la taille de l’exploitation. Toutefois, il faut souligner que les bêcheurs dont on a ici les inventaires de communautés, devaient être un peu plus aisés que la moyenne des bêcheurs, car la part importante des laboureurs et fermiers dans ces actes fait penser que les personnes les plus aisées procédaient, plus que les autres, à des inventaires de biens devant notaires.

Tableau 19. Le bétail selon les professions, d’après 33 inventaires de biens mobiliers après décès. 1767-1787.

profession

chevaux, juments, poulains(p.)

charrues/
pièces de charrues

vaches, génisses, bœufs (b.), vaux (v.), taureaux (t.)

cochons

moutons et agneaux

oies

non-cultivateurs : maître de musique, cordier, cerclier, scieur de long

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

journaliers

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1

 

17

6

 

 

1

 

 

3

 

oui

1

 

6

8

bêcheurs

 

 

1

 

 

 

6 (3 p.)

oui

5 (1 v. , 2 t.)

 

 

57

 

 

1

2

 

 

2

oui

2

1

 

 

 

 

1

 

 

8

 

 

1

 

 

 

2 (1 p.)

oui

 

 

 

20

 

 

 

 

 

 

1

 

2

 

 

 

4

oui

1

 

24

6

4

oui

3 (1 v.)

1

 

48

3

oui

3 (1 v.)

 

5

60

4

oui

1

 

 

 

3

oui

1

 

 

 

 

 

1

 

 

 

1

 

2

 

 

 

4

oui

5

1

 

43

2

oui

3

1

 

 

laboureurs

6

oui

5

1

 

59

9 (4 p.)

oui

6

1

 

 

3

oui

3

1

 

 

2 (1 p.)

oui

12 (2 v., 5 b.)

4

21

 

4

oui

4 (1 v.)

1

 

 

1

oui

8 (2 v., 2 b.)

1

 

 

fermiers

4 (1 p.)

oui

4 (1 v.)

 

 

38

4 (1 p.)

oui

3

 

 

 

5 (2 p.)

oui

5 (2 v., 1 t.)

 

 

 

4

oui

4 (1 v., 1 t.)

 

 

 

Les prairies, complément nécessaire à l’assolement sans jachère.
Roger Dion a établi un rapport entre l’étendue des prairies permanentes des dépressions latérales de la Loire et du Cher, et la densité de la population agricole des vallées.14.

L’absence de jachère sur les terres cultivées de la Vallée d’Anjou n’était possible que grâce à de grandes quantités de fumier pour les amender. Et la grande densité de bétail nécessaire pour cela était permise grâce à l’herbe abondante des vastes prairies naturelles qui couvraient une partie de la Vallée de l’Authion. Les inondations de l’Authion, qui souvent obligeaient les cultivateurs à ressemer, assuraient aussi l’existence de prairies qui permettaient de produire le fumier nécessaire à une nouvelle récolte.

Une part importante de ces prairies naturelles consistait en « communes », ou terrains communaux, propriété indivise de tous les habitants du comté de Beaufort. Les communes permettaient à de petits exploitants d’entretenir quelques têtes de bétail sans avoir besoin de jachère sur leurs terres pour les nourrir, et même sans avoir de prés. Ce bétail leur procurait du beurre, de la viande, ou servait pour les labours. Il fournissait à peu de frais beaucoup d’engrais, pour enrichir les terres, ce qui permettait une culture intensive.


D’autre part, il existait de vastes étendues de prairies, partagées entre de nombreux propriétaires, où la liberté de clore et de mettre en culture n’existait pas, car ces prairies étaient soumises à un droit de pâture. Ces prairies étaient « défensables », c’est à dire réservées aux propriétaires ou à leurs fermiers, du 1er mars au 22 juillet15, du moins en théorie. Après l’enlèvement des foins, que l’on appelait la « première herbe », par les propriétaires, les regains appelés « seconde herbe » étaient soumis au même droit de parcours que les « communes » toute l’année. Ces prairies soumises au droit de « seconde herbe » étaient donc dites « communes après la première herbe ».

L’intendant du Cluzel affirmait en 1769, au sujet des prairies qui bordaient la Loire et l’Indre dans la Généralité:

« A voir ces prairies, on imaginerait qu’elles appartiennent à un seul propriétaire, parce qu‘elles ne sont coupées ni de haies ni de fossés. La propriété en est cependant divisée entre un très grand nombre de particuliers, chapitres ou communautés religieuses, et elle n’est distinguée que par des bornes qu’on a soin de reconnaître dans le moment de la fauchaison. A l’exception des portions qui appartiennent aux chapitres et communautés, et qui sont composées de dix jusqu'à cinquante arpents, celles qui appartiennent aux petits propriétaires sont d’un arpent, d’un demi-arpent et d’un quartier d’arpent ». 16

Enfin, les autres prés appartenant à des particuliers, reconnus « gaigneaux », « regaignables » ou « à deux herbes », pouvaient être mis en culture et clôturés par le propriétaire17.

D’après les divers cadastres napoléoniens, les prairies, communes ou non, étaient beaucoup moins étendues à Saint-Mathurin que dans les communautés voisines, dont La Marsaulaye. L’usage des communaux était donc primordial pour les habitants de Saint-Mathurin :
« Point d’année de repos en vallée, point de terres en jachère, point de prairies artificielles, les communaux suppléent à toutes ces ressources des autres pays. »18

Nous allons maintenant voir ces «communes» si importantes pour les cultivateurs de la Vallée.


NOTES DE BAS DE PAGE (WEB)

1 A.D.M.L., 2 L 55.
2 A.D.M.L., 54M1, reclassé 6M Essai de statistique du département de Maine-et-Loire présenté par le préfet au Ministre de l’Intérieur le 30 fructidor an 10 (1802).
3 A.N. : R/5/129. Cité par Roger Dion, Le Val de Loire. Etude de géographie régionale. page 532.
4Brigitte Maillard, Les campagnes de Touraine au XVIIIe siècle. Structures agraires et économie rurale. page225.
5 A.D.M.L., 1 L 709 : 2 mai 1793,les of. municipaux de Beaufort aux ad. du comité des fournitures de l’armée.
6 A.D.M.L., 2 L 68.
7Brigitte Maillard, op. cit. page 210.
8 A.D.M.L., O/191. « Mémoire pour les habitants des quatorzes communes de l’ancien comté de Beaufort en Anjou, sur la question de propriété de terres vaines et vagues, pâtis et marais situés dans l’enceinte de ces communes. ». 1820. page 24.
9 A.D.M.L., 2 L 56.
10 A.D.M.L. : 5 G 1 à 3. R. Lehoreau Cérémonial de l’église d’Angers, livre V page 74 note (f). Page 190 de la publication par François Lebrun.
11 Archives de Beaufort, N 10(4). Mémoire présenté à l’Assemblée Nationale par les seize Paroisses du ci-devant comté de Beaufort, en faveur de la possession indivise de leurs communes. 1790.
12 A.D.M.L., 1 L 402. déjà cité dans l’étude sur la population globale de Saint-Mathurin et La Marsaulaye.
13 A.D.M.L., 5E16/209, 265, 272,273,274,275, et 276.
14 Roger Dion, op. cit. pages 565 et 566.
15 A.D.M.L., C 10 . règlement sur la seconde herbe par la grurie de Beaufort. 18 juin 1777.
16 Roger Dion, op. cit. page 571. Cite A.N. : H 1486, n°16.
17 Ainsi en 1789, le fermier de la terre de La Marsaulaye donnait à ferme 2 arpents dans « le pré du Logis en ce qu’il y en a actuellement de labouré », le preneur ne pouvant « prendre plus de terrain qu’il n’y en a de labouré actuellement »A.D.M.L. : 5 E16/277. Minutes Rogeron. Baux à sous-ferme du 19/4/1789.
18 A.D.M.L., O-995. Lettre du conseil municipal de Saint-Mathurin au préfet, an IX.