pageweb16 Table des matières
Page précédente
Page suivante

2) Tentatives d’usurpations, tentative d’aménagement du comte d’Essuile : 1752-1774.

Les menaces sur les “ communes ” dans les années 1750.
Dans les années 1750 et 1760, des projets d’aliénation des “ communes ” du comté virent le jour. Ces projets étaient les plus dangereux, pour la propriété des habitants du comté, depuis le “ triage ” de 1575, et l’usurpation des communs de Brain, dont nous ignorons la date.

En avril 1752, un mémoire fut transmis par Poulain de la Guerche, subdélégué d’Angers, au juge des eaux et forêts de Beaufort. Il proposait d’aliéner 958 arpents de “ communes ” à des entrepreneurs chargés de l’assainissement de la vallée. Son auteur est inconnu.1

En mai 17532, trois hommes d’affaire parisiens adressèrent un mémoire au contrôleur général, dans lequel ils se proposaient d’aménager la Vallée, en échange de “ 4000 arpents de terre qui seront désignés à prendre dans les communes du comté de Beaufort appartenant à sa majesté ”, soit l’ensemble des communes. Mais les habitants des seize paroisses “ étagères ” réagirent fortement et dans une requête du mois d’août 1753 soulignèrent que faute de pacages, ils ne pourraient entretenir assez de bestiaux pour obtenir les engrais nécessaires à leurs cultures. Le projet était enterré en 1755.

En 1759, les habitants de Saint-Mathurin, La Bohalle, et sans doute d’autres communautés dont nous n’avons pas les actes d’assemblées, furent prévenus par le subdélégué d’Angers qu’un mémoire avait été présenté au Conseil du Roi pour obtenir l’inféodation des terres “ inutiles, vainnes et vagues ” dépendant du comté3. L’auteur du mémoire n’est pas connu, mais il est possible qu’il s’agisse déjà du marquis de Turbilly. C’est à la même époque (1758) que le seigneur de Corné obtenait la réduction du droit de pâture sur les prairies à seconde herbe de la seigneurie.

Les procès contre Faribault et Turbilly : 1762-1769.
En 1762 et 1763, deux nouveaux projets de défrichement remettaient en cause la propriété des habitants sur leurs “ communes ”.

Par un arrêt du Conseil du 2 mai 1762, Joseph Faribault, premier président et juge des gabelles à Angers, obtint 400 arpents de communes à la Daguenière.

Un autre arrêt du 11 mars 1763 accorda au marquis de Turbilly “ la concession des terres incultes qui se trouveront appartenir (au roi), en conservant aux communautés d’habitans celles qui leur appartiennent (selon les arpentages de 1575), après en avoir fait constaté les quantités par un nouvel arpentage ”. En échange, Faribault et Turbilly s’engageaient à entreprendre le dessèchement des marais, et à les convertir en terres labourables. 4

Le marquis de Turbilly s’était rendu célèbre par son “ mémoire sur les défrichements ” paru en 1760, et il était à l’origine d’un arrêt d’avril 1761 incitant aux défrichements des terres incultes, arrêt qui obtint de médiocres résultats, tout comme les tentatives de Turbilly sur ses propres terres. 5

Faribault et Turbilly se heurtèrent alors aux communautés du comté, et à des personnages influents, qui avaient, autant que les communautés, intérêt à maintenir les communes :

Le cardinal de Rohan, seigneur de Brain-sur-l’Authion, dont par ailleurs les habitants contestaient la propriété sur les “ Marais de Brain ” ; le maréchal de Contades, seigneur de Montgeoffroy à Mazé, qui en 1764 avait fait passer un mémoire des habitants du comté à Laverdy contrôleur général des finances ; l’abbé de Toussaint ; L’abbé de Saint-Aubin (l’aumônier de l’abbaye avait la seigneurie de Limesle, ou Limelle, à Brain) ; les administrateurs de l’hôtel-Dieu d’Angers ; Poulain de La Guerche subdélégué de l’intendant à Angers et seigneur de la Marsaulaye ; Charles-Laurent Aveline, seigneur de Narcé à Brain sur l’Authion6. En 1765, même le bureau angevin de la société d’agriculture créé en 1760 par Turbilly le désavoua. 7

Le prieur de Saint-Aubin fut le premier, avant les communautés d’habitants qu’il appela à la rescousse, à s’opposer à l’aliénation obtenue par Faribault8.

Haran de la Barre, procureur du roi de la grurie de Beaufort, déjà engagé en 1762 comme “ commissaire député (...) à la poursuite d’opposition à la concession ” faite à Tessier de la Motte de 25 arpents de communes, fut envoyé à Paris pour représenter les communautés avec le seigneur de Narcé9.

Il serait trop simple d’attribuer l’opposition des habitants et de ces puissants personnages à une manipulation des premiers par les seconds, principaux bénéficiaires des “ communes ”. Il paraît plus probable que les seigneurs jugeaient la perte d’une partie des communes préjudiciable aux habitants, et à toute l’agriculture de la vallée, dont ils tiraient profit à travers la location de leurs terres : moins de bétail signifiant moins d’engrais, moins de récoltes, et donc des fermages plus faibles. Ce n’était pas pure philanthropie : peut-être ces seigneurs rêvaient-ils d’obtenir pour eux-mêmes les concessions obtenues par Turbilly et Faribault…


Le 6 mars 1764, un arrêt confirma la concession faite à Faribault, qui fit clore 400 arpents entre Trélazé, Brain et la Daguenière10. Quant à Turbilly, il procéda à un arpentage entre août et septembre, par lequel il évalua les terres “ vaines et vagues ” lui revenant à 4028 arpents.


Mais finalement, les communautés obtinrent le 25 septembre 1764 un arrêt renvoyant l’instance devant la Grande direction des finances, et le 1er août 1767, un autre arrêt qui déboutait Faribault et Turbilly.

Les dépenses engendrées par le procès furent énormes. En décembre 1768 le coût du procès avait été évalué à 40 385 livres 9 sous par des commisaires des paroisses. Le 17 janvier 1769, un arrêt du Conseil homologua la délibération des commissaires des 16 paroisses, selon laquelle cette somme devait être imposée en 2 ans sur les habitants du comté, “ exempts et non exempts, privilégiés et non privilégiés ”, les deux tiers sur les propriétaires en proportion de leurs revenus, et le tiers sur les taillables en proportion de leur capitation (taille et capitation étant confondus)11.

Turbilly tenta de transiger. Il proposa en juin 1769 (par l’intermédiaire du subdélégué de La Flèche) de payer les 40 385 livres 9 sous et de laisser 2400 arpents des meilleures terres des communes à condition de garder le reste. Les communautés refusèrent. L’assemblée de La Bohalle rappella un arrêt d’avril 1767 qui faisait “ très expresses inhibition et defenses a touttes personnes de quelques qualités, conditions quelles soient de troubler ny inquietter les habitans des communautés dans la pleine et entiere possession de leurs communs ; et aux dits habitans d’aliéner leur usages et communes (…) nonobstant touttes permission quils pouroient obtenir à cet effet, a peine contre les consuls et echevins procureurs sindics et autres personnes chargées des dittes com. qui auroient passé ce contrat ou assister aux deliberations qui auraient été tenues à cet effet, de trois mille livres d’amendes ”12.

Après un appel de Turbilly devant le Conseil, un dernier arrêt du 29 mai 1770 le condamna à tous les dépens. Il mourut ruiné en 177613.

Considérant le danger, toutes les communautés participèrent. De nombreux mémoires furent imprimés, et toute une argumentation fut développée pour la défense des communes. A côté d’arguments sur l’utilité des communes, les mémoires s’appuyaient de façon récurrente sur quelques documents : le don de 1148 à Othon du Lac reconnaissant l’ancienneté du droit de pâture, un acte de Guillaume Roger de 1356 confirmant ce don, bien sûr le règlement de 1471, les arrêts de 1572 à 1575, les arrêts et règlements de 1667 et 1769, et le procès-verbal d’arpentage de 168514. Des documents que j’ai déjà cités. A ces arguments s’ajouta désormais l’arrêt du 1er août 1767.


Le projet d’aménagement de l’Authion du comte d’Essuile
Charles de Bandièry de Montmayeur d’Essuile(s) (ou Dessuile) occupait dans l’entourage de d’Ormesson un rôle proche de celui de Turbilly auprès de Bertin. Il prétendit être à l’origine des édits prévoyant le partage des communaux. Administrateur des domaines particuliers du roi, il obtint la concession de 700 arpents de communaux en Dauphiné. En 1769, il inspectait les maîtrises des eaux et forêts de cette province. En 1770, il était envoyé dans la principauté d’Orange pour endiguer les inondations d’un confluent de l’Aigue. Il procéda à des missions d’inspection des communaux et de défrichement, notamment en Anjou en 1769.15 C’est probablement à cette occasion qu’il entra en contact avec la municipalité de Beaufort.

En 1770 il publia un “ traité politique et économique des communes ”. Alors que la plupart des agronomes de son temps voulaient défricher indifféremment tous les communaux, considérés comme des facteurs d’arriération agricole, d’Essuiles reconnaissait que certains communaux devaient rester en pâture. Il était partisan de laisser la décision aux communautés car “ les connaissances du local leur propre intérêt les en rendront toujours les meilleurs juges ”.16 Son point de vue était donc très éloigné de celui de Turbilly.

- Les communautés du comté, confrontées aux débordements de l’Authion, attendaient l’aide de l’Etat, et l’autorisation de lever une imposition pour procéder au curage nécessaire.

- Elles souhaitaient que les règlements concernant la police des “ communes ” et des rivières fussent rappelés, et se plaignaient des barrages de pêcheurs sur l’Authion, des arbres sur les “ communes ”, du bétail “ forain ”, des porcs qui fouissaient la terre des communes, etc.

- Elles attendaient aussi l’autorisation de répartir l’imposition de 40 385 livres pour rembourser les emprunts contractés lors des procès contre Turbilly et Faribault, conformément à l’arrêt du 17 janvier 1769 et à l’ordonnance de l’intendant du 15 mars 1769.

- Elles attendaient enfin des lettres patentes pour confirmer l’arrêt du 1er août 1767 déboutant Turbilly.

Tous ces points furent abordés dans une assemblée commune à Beaufort le 16 février 1770, de députés provenant de 14 communautés du comté,17 puis dans une requête du 22 février adressée au Roi18. Les députés voulaient “ supplier Mr le comte Desuile commissaire en cette partie d’obtenir du Roy le netoyement de cette rivière dans la longueur d’environs 6 lieues ” de Longué au pont de Sorges. Ainsi “ les ruisseaux, boires et cours d’eau qui inondent les communes se déchargeraient dans l’Authion par des coupures de communication ”. Le but était aussi commercial : on prévoyait de rendre navigable l’Authion depuis Longué, où se tenaient foires et marchés, jusqu'à la Loire. A condition de réaménager le pont de Sorges malcommode pour les bateaux.

Le 24 mai 1770, un arrêt confiait les travaux de l’Authion à Essuiles, et le 18 septembre il présidait une assemblée générale à Beaufort, où les communautés acceptaient un partage des frais entre le roi et les particuliers intéressés aux travaux. Seuls les habitants de Saint-Clément-des-Levées et Saint-Martin-de-la-Place jugèrent que l’Authion ne pouvait être rendu navigable, et qu’on allait les ruiner en leur demandant de participer au curage par corvée.19


Le 18 septembre 1770, Essuile pouvait présenter son projet aux communautés : il était beaucoup plus ambitieux qu’un simple curage de la rivière. Il prévoyait le creusement d’un canal de Sorges à Sainte-Gemmes pour reporter l’embouchure de l’Authion en aval des Ponts-de-Cé, et la construction d’une levée pour protéger le canal et assécher les prairies de l’île de Belle Poule. C’est l’actuelle levée de Belle Poule. Le canal devait permettre de profiter d’une pente plus forte au-delà des Ponts-de-Cé, et d’éviter le refoulement des eaux dans l’Authion face au pont et l’ensablement du canal. Les travaux de Bourgueil au pont de Sorges, évalués par Essuile à 172 032 livres, devaient être payés par les communautés, et le Roi devait prendre à sa charge le canal et la digue en aval de la levée de la Loire, payée grâce à 30 000 livres prélevées sur la vente des bois de la forêt.20

Ce projet était, pour des raisons techniques, contesté par des ingénieurs tels que Cadet de Limay ingénieur de la généralité, Louis de Regemorte, et l’ingénieur en chef Perronet.21Mais un arrêt du 25 mai 1771 l’approuva malgré tout.

Au cours de la réunion du 3 décembre 1771 furent nommés les responsables de la perception et gestion des 172 032 livres, sur les 16 “ paroisses ” du comté, mais aussi sur les autres paroisses concernées22. En effet, le paiement des 172 032 livres concernait des paroisses extérieures au comté : étaient mis à contribution Saint-Lambert-des-Levées, Villebernier, Varannes-sur-Monsoreau, Chouzé, Saint-Nicolas-de-Bourgueil, Russé, Alonne, Brain-sur-Alonnes, Vivy, Neuillé, Longué et la petite enclave des Tuffeaux sur la rive droite de la Loire.23 L’argent devait être collecté sur 3 ans, mais le 2 novembre 1772, d’Essuille écrivait au maire de Beaufort qu’il avait demandé à l’intendant d’étaler la perception sur 5 ans. Il obtint gain de cause.24

Les sommes étaient réparties entre les “ biens tenans ” (propriétaires) et les taillables. La taxation des propriétaires était logique, puisqu’ils étaient les principaux bénéficiaires des travaux. Le rôle de La Marsaulaye pour le second cinquième en 1774 nous est parvenu. Les propriétaires devaient payer sur 5 années une somme de 1761 livres 8 sols, à raison de 8 deniers 5/8e par livre de revenu, et les taillables 552 livres, à raison de 2 sous 3 deniers par livre de taille.25 La Marsaulaye devait payer au total 2313 livres 9 sous, et Saint-Mathurin 3286 livres 2 sous26.

En attendant de percevoir l’argent les communautés ouvrirent des emprunts à partir de juin 177227. En échange de ses bons services, Essuile obtenait le 9 août 1771 la concession des 1100 arpents du sol de la forêt de Beaufort, en s’engageant à payer une redevance de 25 livres par arpent.28

Tout semblait aller pour le mieux.

La seconde herbe du Roi : 1771-1775.
Mais le 3 mai 1770, l’assemblée des communautés du comté réunie à Beaufort dut débattre au sujet d’une exigence royale :29
“ Sa majesté ayant apris que les habitants prétendaient un droit de seconde herbe et usage sur aucunes parties des domaines qu'elle possède dans la vallée de Beaufort, et par elle concedée à titre d'engagement tant à ... madame la comtesse du Roure qu'a différents autres particuliers par entrer ou reunir à son domaine, elle desire pour oster à l'avenir tous sujets de contestation entre ceux qui jouissent en son nom des terrains et les habitants usagers du comté il soit incessament par eux passé un acte regulier ”. Ces prairies représentaient 591 arpents, dont 121 engagés au comte de Roure, 385 au vicomte de Narbonne, 15 appartenant au Domaine à la Daguenière, et 67 arpents, à La Daguenière encore, donnés à l’Académie d’équitation d’Angers en 172030. Les paroisses cédèrent, en précisant bien qu’elles ne renonçaient à leurs droits que sur les terres faisant partie du domaine du roi ou engagées, “ se réservant toujours le droit de pacage pour la 2e herbe sur les marais des seigneurs particuliers qui n’ont droit que d’y cueillir la 1ere herbe ”. Elles se réservèrent encore les passages pour “ le passage des voitures et exploitations de leurs domaines ”. Mais dans l’ensemble, ce fut une rapide capitulation de la part des communautés.

Seul le syndic des Rosiers, arrivé en fin de séance, déclara que les habitants “ ont crû que malgrés toutes leur soumission à se conformer aux volontés de sa majesté il était de leur intérêt de conserver les terrains dependant du domaine sur lesquels ils ont droit de seconde herbe, et que par leur situation dans le centre de la paroisse prejudicirait considérablement au pacage de leurs bestiaux ”.


Le roi demandait l’abandon de ce droit en échange des lettres patentes confirmant l’arrêt d’août 1767. Dans un procès-verbal de l’état de l’Authion joint au devis des travaux, Essuile écrivait fin 1770 que les incursions de Turbilly et Faribault avaient coûté 44000 livres aux habitants du comté (sans doute avec les intérêts des emprunts) et

“ 1) si l’on ne les met pas à l’abry par des lettres patentes, de pareilles tentatives, que d’autres pourroient faire, de nouvelles pretentions acheveroient de ruiner les 17 communautés du comté.
2) qu’il a été autorisé a promettre ces lettres pathentes, dans le cas où les habitants renonceroient au droit de seconde herbe, sur les domaines du Roy.
3) Que leur renonciation (…) dans la délibération du 3 may 1770 étant qu’à la condition que les terres susdittes leurs seront accordées, et que la jouissance de sa majesté ne commencera que du jour de l’expedition desdittes lettres, il importe beaucoup au Roy lui même, que cette condition soit remplie. 31

La vente de la seconde herbe de 522 arpents sur 591 eut lieu le 15 janvier 1772. 32 Celle des 67 arpents des prés de Pignerolle à la Daguenière, dont la première herbe avait été donnée à l’Académie d’équitation d’Angers en 172033, ne fut pas vendue à cette occasion.

On tira peu d’argent de cette vente. Le vicomte de Narbonne paya 1925 livres pour la seconde herbe de ses prairies, et le comte de Rourre 726 livres pour les siennes, soit 5 et 6 livres par arpent. A cause de la médiocrité des terrains, mais aussi parce que les acheteurs potentiels craignaient que les habitants du comté ne s’opposent à l’exercice de son droit par le fermier. En se soumettant à la décision royale le 13 juin 1772, les membres de l’assemblée des Rosiers demandèrent à l’intendant que, la paroisse étant habitée “ au moins de trois à quatre cent misérables ”, ils ne “ soyent compliqués en aucunes manières dans les malversations, et troubles, s’il en survenoit par ces misérables, pour raison des dits dommages, et de n’être garants ny responsables, des dommages et interêts qui pourraient être dus à ce sujet ”.

La situation était donc tendue. En juillet 1772, alors que la date habituelle d’exercice du droit de seconde herbe approchait, la nouvelle parvint à la Cour de plusieurs émeutes dans le comté de Beaufort, et surtout aux Rosiers, les mutins étant armés de 1000 fusils, et ayant mis en fuite la brigade de maréchaussée de Beaufort. Le roi décida alors l’envoi de deux bataillons du régiment Dauphin stationné à Poitiers, et de deux brigades du régiment des carabiniers, de Saumur et d’Angers.

Mais Poulain de la Marsaulaye, subdélégué d’Angers, écrivit au sujet de ces émeutes “ s’il y en avoit eu, elles seroient surement venues à ma connaissance ”. Quatre petits détachements isolés suffirent à désarmer le village. Ils saisirent 50 fusils de chasse, en mauvais état pour la plupart, et sans rencontrer de résistance. Perceval, commandant du corps de Carabiniers à Angers et Saumur, qui dirigea l’expédition, écrivit : “ Je ne puis concevoir, ce qui a été mandé à la cour, qui ait pu occasionner la marche de deux bataillons du régiment Dauphin. Le comté de Beaufort est aussy tranquille que la ville de Tours ”. 34

La rumeur avait enflé les tensions, mais elles existaient. Les fermiers se heurtèrent à l’hostilité générale.

La vicomtesse de Narbonne donna à sous-ferme la première et la seconde herbe à Tessier du Mottay avec la faculté de clore et de labourer mais “ quelques habitants ont comblés les fossez, détruit les récoltes et conduit leurs bestiaux sur ces prez ”. Face à ces difficultés, elle obtint d’être dispensée du premier paiement de la Toussaint 1772, et en 1775 elle demanda, ainsi que le comte de Roure, à être déchargée du prix de son bail. Le ministre Beaumont demanda des informations à Du Cluzel, et tomba d’accord avec lui de révoquer la concession au vicomte (ou vicomtesse) de Narbonne, d’autant que “ la privation d’une ressource aussi necessaire pour la nourriture des bestiaux qui forment la principale richesse de tout ce canton peut être suceptible des plus grands inconvéniants ”35 En 1790, seuls les 16 arpents des “ prés neufs ” à la Daguenière, étaient encore “ regaignables ”.36

L’échec de l’expérience d’Essuile.
Cette affaire de la seconde herbe augmenta la méfiance de la population contre le projet d’Essuile. Mais surtout, les communautés n’avaient toujours pas obtenu en 1773 les lettres patentes confirmant l’arrêt du 1er août 1767, et pour lesquelles elles avaient abandonné de mauvaise grâce la seconde herbe des terres du Domaine. Essuile écrivait en octobre 1773 : “ je n’ai point oublié que leur consentement aux travaux que je fais executer et à l’abandon du droit de seconde herbe n’a été donné que parce qu’elles espéraient rester tranquilles propriétaires de leurs communes ”.37 D’Ormesson écrivait en octobre 1773 que les lettres patentes, concédées le 29 mai 1770, avaient été “ égarées ” !38.

Dans cette situation la défiance était grande envers Essuile39, pourtant soutenu sans réserve par Aveline de Narcé, défenseur reconnu des droits des habitants du comté.

De plus, l’Etat tarda à accomplir sa part des travaux. L’arrêt du 25 mai 1771, qui autorisait les travaux, passait sous silence ceux à la charge du roi en aval du pont de Sorges. Essuile dut les commencer en puisant dans ses propres fonds et en empruntant. L’abbé Terray décida, fin 1773 ou début 1774, que les sommes versées par les communautés devaient servir à faire l’avance de celles dues par le roi.40 Essuile obtint de vagues promesses de subsides en avril 1774, mais ne vit rien venir. Il proposa de vendre 120 arpents du sol de la forêt au profit des communautés pour continuer les travaux, ce qui fut refusé.41 Les travaux furent définitivement abandonnés en 1774, alors que le canal avait atteint le chemin d’Angers aux Ponts-de-Cé, et la levée, le canal de Champ Fleury.42

La collecte des fonds, étalée sur 5 ans, fut abandonnée pendant le second exercice, celui de 1774. Le 17 août 1779 un arrêt du conseil “ décharge les habitants et biens tenans du comté de Beaufort des trois derniers cinquièmes de l’imposition ordonnée pour le curement de l’Authion, même ce qui restait à recouvrer du second cinquième ” 43 Les collecteurs se heurtaient à la mauvaise volonté des contribuables, dans le comté, mais encore plus à l’est du comté, vers Allonnes, Bourgueil, Vivy44.

Le déboisement de la forêt fut la seule partie du projet menée à terme.
En décembre 1771 les arbres de la forêt furent vendus 260 000 livres à un marchand de bois d’Angers, à charge de libérer progressivement le terrain suivant un calendrier entre octobre 1772 et 1774.45 Après l’abandon de ses travaux sur l’Authion, Essuile se consacra à la gestion de ses terres.46 Les terres déboisées furent mises en cultures ou en prairies. Ces terres très proches de l’Authion, étaient toujours menacées par les inondations du fait de l’inachèvement des travaux de curage et de report de l’embouchure de la rivière.

Mais bon gré mal gré, des colons s’implantèrent. A Saint-Pierre-du-Lac, les nombreux défrichements sur la rive gauche de l’Authion coupaient la paroisse en deux. Dans la statistique des paroisses en 1787-1788, l’auteur de la note sur Saint-Pierre-du-Lac écrivait “ J’y compte 50 maisons depuis 10 ans, avec celles qui étaient déjà de ses côtés, font une centaine, qui doit donner près de 400 habitans ” soit 200 nouveaux colons en 10 ans, pour un village de 504 habitants en 1790-1791 ! 47. Le 8 mars 1789, l’assemblée réunie pour rédiger le cahier de doléances évaluait le nombre de feux à 194 “ dont soixante cinq établis sur le sol de la forêt dud. Beaufort exempts de taille pendant quelques années ”48.

A Saint-Mathurin, de nombreux cultivateurs prirent à ferme des parcelles de l’ancienne forêt à Mazé, surtout au canton du Flechet49. Ces terres atteignaient dans les années 1780 des prix proches de ceux des autres terres labourables. Ces nouvelles terres labourables ont pu contribuer à l’augmentation de la population de Saint-Mathurin à la fin du XVIIIème siècle.


NOTES DE BAS DE PAGE (WEB)

1 Archives de Beaufort, DD2 (ex DD9 bis).
2 François Lebrun. Les hommes et la mort en Anjou aux 17e et 18e siècle. page 106. cite le Mémoire des hommes d’affaire Belache, Lemoine et Tollot : A.N. : F 14, 1187/23, et Requête des habitants rédigée par François Prévost avocat : A.N. : F 14, 1187/28.
3 A.D.M.L., 5E92/57. Assemblée de Saint-Mathurin le 28/11/1759. La Bohalle le 4/11/1759.
4 François Lebrun, op. cit. pages 106 et 107. Les tentatives d’aménagement de la Vallée par Turbilly et Essuile sont abondamment développées dans cet ouvrage.
5 François Lebrun, op. cit. pages 93 et 97.
6 Arch. de Beaufort, DD2 (ex DD10) Nombreuse corresp. de ces personnages avec l’hôtel de ville de Beaufort.
7 François Lebrun, op. cit. page107.
8 A.D.M.L., 5E16/262. Assemblée de Saint-Mathurin du 8/9/1762.
9 Archive de Beaufort. DD2 (ex DD10). Toujours dans la correspondance de l’hôtel de ville.
10 A.D.M.L., 8 B 48. Procès-verbal de la grurie de Beaufort du 6/4/1764 : Faribault se dit propriétaire de communs et fait abattre les arbres. A.D.M.L., 3P4/123/1. Cadastre napoléonien de La Daguenière, 1812. Un fossé creusé sur ordre de Faribault porte son nom (au Nord Ouest, 8e feuille).
11 A.D.M.L., 5E17/13. Ass. de La Bohalle le 11/12/1768 pour nommer un commissaire pour l’examen des dépenses. 5E17/14. Assemblée de La Bohalle du 29/7/1770. L’acte contient l’arrêt du 17/1/1769, confirmé par une ordonnance de Du Cluzel le 15/3/1769.
12 A.D.M.L., 5E17/14. Ass. de La Bohalle le 11/6/1769.
13 François Lebrun, op. cit. pages 108 et 109.
14 A.D.M.L., C10. De très nombreux mémoires de la période 1762-1769.
15 André-J. Bourde, Agronomie et agronomes en France au 18e siècle. page 561, note 1. Et François Lebrun, op. cit. page 109.
16 André-J. Bourde, op. cit. page 562, citant le mémoire d’Essuile de 1770. Conservé à la B.M.A. : J701.
17 Archives de Beaufort,BB4. Assemblée du 16 février 1770. (manquent Saint-Clément et Saint-Martin, invités).
18 Archives de Beaufort, DD11 (ex DD7). Requête du 22/2/1770.
19 François Lebrun, op. cit. page110.
20 A.D.M.L., C 42. “ observations sur les communes de Beaufort et sur les travaux de l’Authion ” Par Essuile. Le devis fut présenté au Conseil le 10 octobre 1770, d’après François Lebrun, op. cit. page 110. Le 16/9/1770, l’assemblée de La Bohalle qui désigne des commissaires pour le 18/9/1770 ne signale comme travaux à faire que le curage de l’Authion et la création de grands fossés, y compris dans le marais de Brain (A.D.M.L., 5E17/14).
21 François Lebrun, op. cit. page 111.
22 Arch de Beaufort, BB4. Et nomination de 3 commissaires à La Marsaulaye, 1/12/1771. (A.D.M.L., 5E92/57).
23 A.D.M.L., O/192. Assemblée des communautés du 13/12/1790 à Beaufort. Bilan de l’utilisation des fonds.
24 Archives de Beaufort, DD6. Prélèvement en 3 ans d’après une lettre de l’intendant Du Cluzel, du 19 juillet 1772. Lettre d’Essuile du 2/9/1772. Perception par cinquièmes d’après les comptes des collecteurs de paroisses de 1780. (A.D.M.L., C 43).
25 A.D.M.L., C 127.
26 A.D.M.L., 3E12. Livre des recettes des paroisses pour les travaux de l’Authion.
27 A.D.M.L., 3E12. Copies de constitutions de rentes accordées en 1772 par Poupard de Mauru et Ancenay, inspecteurs préposés à la conduite des ouvrages nommés par l’A.G. du 3/12/1771, qui ont le droit d’emprunter au nom des communautés.
28 François Lebrun, op. cit. page 110, et note 178 page 112.
29 Archives de Beaufort, BB4. assemblée du 3/5/1770. et DD11 (ex DD7) copie du même acte. 5E17/14 : assemblées préparatoires de La Bohalle et La Daguenière le 29/4/1770 (même texte).
30 A.D.I.L., C 382. Environ 10 arpents étaient à Beaufort, 50 à Saint-Pierre-du-Lac, 83 à La Daguenière, 133 à Mazé et 313 arpents dans la “ grande prée ” des Rosiers.
31 Archives de Beaufort, DD11 (ex DD7)
32 A.D.I.L., C 382. affiche de l’arrêt du conseil. Un arrêt du conseil du 30 septembre 1771 prépara la vente.
A.D.M.L., 3E12 : cahier des charges, clauses et actes de ventes aux enchères.
33 A.D.M.L., O/189. Mémoire de Célestin Port sur les communaux de Beaufort. 1859.
34 A.D.I.L., C 382. Lettre du ministre Monteynard du 17/7/1772, lettres de Perceval du 20 et du 29/7/1772. Lettre de La Marsaulaye du 23 juillet. Roger Dion signale les émeutes (page580), en donnant la côte C 82 au lieu de C 382. Il n’a semble-t-il consulté que le début du dossier, ce qui l’a conduit à accréditer la réalité des émeutes.
35 A.D.I.L., C 382. Lettres de Beaumont à Du Cluzel, 10 mars et 19 août 1775.
36 A.D.M.L., O/192, paquet “ communaux du comté de Beaufort. 1791-an IV ”, Assemblée de Sorges du 19/12/1790. Les habitants de Sorges réclamèrent qu’ils redevinssent communs après la première herbe.
37 Archives de Beaufort, DD6. Lettre d’Essuile au maire de Beaufort du 1/10/1773.
38 Archives de Beaufort, DD2 (ex DD10) Lettre d’Ormesson au maire et échevins de Beaufort. 20/10/1773. Ce 29 mai 1770 Turbilly avait été débouté une dernière fois (A.D.M.L. O/191.Extrait des registres du conseil d’Etat).
39 Archives de Beaufort, DD6. Lettre d’Essuile au maire de Beaufort du 1/10/1773 : “  Je sais qu'on a attribué au sieur Le clerc [Leclerc] mon homme d'affaire d'avoir dit que j'avais des vues sur des portions de communes voisines de la forêt: si j'avais ces vues, je serais digne de tout mépris, si j'étais certain que le sieur Lecler ait tenu ce propos, je le désavouerais publiquement et je me séparerai de lui (...)Je sais que d'autres ont osé dire que je voulais avec les officiers de Monseigneur le comte de Provence, et une personne que j'honore et que j'estime infiniment, m'approprier et à eux les communes de Beaufort ”.
40 A.D.M.L., C 42. Mémoire de 1783, par M. de Narcé, sur les travaux de l’Authion. Cite un texte de Terray postérieur à l’arrêt du 13 octobre 1773 désignant les paroisses imposées pour les travaux.
41 A.D.M.L., C 42. “ Observations sur les communes de Beaufort et sur les travaux de l’Authion ” Essuile.
42 François Lebrun, op. cit. pages 111 et 112 ; et A.D.M.L. : 1 L 904. Lettre du mois d’avril 1791. La Municipalité de Beaufort aux administrateurs du département de Maine-et-Loire.
43 Archives de Beaufort, DD6.
44 A.D.M.L., C43.
45 A.D.I.L., C382. 260 000 livres “ sauf la 4e et dernière enchère qui sera faite au château des Thuileries ”.
46 Archives de Beaufort, DD2 (exDD10). Sous-baux des domaines du Comté. En 1776 il louait une maison avec jardin au canton du Méteil.
47 A.D.M.L., C320, statistique des paroisses décembre 1787-88. Pour la population en 1790, A.D.M.L., 1L402. Statistique charitable, 1790-91.
48 A.D.M.L., 5E54/584. Assemblée de Saint-Pierre-du-Lac pour le cahier de doléances, 8/3/1789.
49 A.D.M.L., 5E16/275. Exemple : inventaire des meubles de Pierre Pieau, bêcheur, le 20/2/1786. 36 des 50 boisselées qu’il exploitait étaient dans la “ forêt de Beaufort ” à Mazé. Elles étaient semées en froment, fèves et orge.