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3) La période révolutionnaire.
Trois
communautés, deux municipalités.
La Marsaulaye.
Lors de
la création des premières municipalités, Saint-Mathurin
et La Marsaulaye eurent chacune la leur, au grand dam des municipaux de Saint-Mathurin.
En septembre 1790 ceux-ci demandèrent la fusion des municipalités,
essentiellement pour faire participer les habitants de La Marsaulaye au logement
des troupes. En novembre 1791, ils tentèrent à nouveau de provoquer
une assemblée commune pour constituer une municipalité, mais « les
citoyens de La Marsaulaye reffusoient de se réunir à la commune
de Saint Mathurin, ce qui prejudicie les citoyens dicelle considerablement
par le passage continuel des troupes inatendues, qui passent journellement,
le logement desquels est à la charge de la paroisse de Saint Mathurin
sans participation de celle de La Marsaulaye ce qui occasionne un mécontentement
de la part des citoyens de St Mathurin et quil paroit que cest le
seul motif qui les portent a se refuser de comparoistre aux assemblées »
Ils obtinrent un arrêt du Directoire du département du 23 décembre 1791 qui obligea les habitants des deux communautés à sassembler pour élire une municipalité commune, en présence dun membre de ladministration du district « pour y maintenir le bon ordre et faire executer la loi »1.
Ce fut un échec, car en juillet 1795 encore, « La Marsaulaye, réunie à Port La Vallée exerce provisoirement »2 (Port La Vallée était le nom révolutionnaire de Saint-Mathurin). Mais son activité était faible, à en juger par la rareté des traces que la municipalité a laissé dans les documents de la série L, aux A.D.M.L.. En janvier 1794 , il nexistait encore quun seul registre détat civil pour les deux communes3. La municipalité de La Marsaulaye disparut lors de la création dune administration cantonale en décembre 1795, comprenant Port-La-Vallée, La Bohalle et La Daguenière, chaque commune envoyant un agent et un adjoint4. Par la suite il ne fut plus question dune autonomie.
La Ménitré
La situation du canton de La Ménitré était plus délicate. Ce village faisait partie des Rosiers, mais avait une chapelle dans le manoir de La Ménitré, où la messe était célébrée par un vicaire5. Ce canton devint succursale le 3 juillet 1791, puis paroisse le 30 vendémiaire an XI6.
Mais, à une date indéterminée (fin 1794 début 1795), la partie ouest de La Ménitré, comprise entre la levée de Beaufort à la Loire à lest, et Saint-Mathurin à louest, fut rattachée à cette commune. Cela provoqua le mécontentement des habitants, et de la municipalité des Rosiers. Le commissaire auprès de ladministration cantonale de Port-la-Vallée, tout juste installée en décembre 1795, écrivait que le greffier de ladministration avait envoyé loger les soldats « au tour de rolle » à La Ménitré, mais que « nous sommes prévenus que les citoyens habitants de cette partie ont déclarés quils ne se regardent pas comme faisant partie de notre commune, pourquoi ils refuseroient à lavenir le logement, aucun deux ne sest encore soumis à cette réunion dans les actes civils publics, tels que batêmes, mariage et sepultures : le moyen doperer cette réunion, seroit ce me semble, davertir officiellement ladministration du canton des Rosiers de se conformer à larrêté du département qui a fixé cette démarcation ». En juin 1796, pour létat civil la situation restait la même, et « si le logement militaire et lorganisation de la garde nationale sy est effectué, ce na été, pour le premier objet, que par egard pour le militaire, et pour le second, par la réunion dune très faible portion des habitants ». Le commissaire demanda alors, « de faire cesser cette alternative de juridiction, en faisant défense à ladministration municipale du canton des Rosiers, de simmisser à lavenir dans aucune fonction étrangère à son territoire. »7.
Mais sil est possible que la municipalité des Rosiers admettait mal cette amputation de son territoire, les problèmes venaient surtout dun statut ambigu.
Ainsi larrêté du 31 mars 1796 [11 germinal an 4] qui rappelait la réunion à Port-la-Vallée, précisait que limposition foncière devait continuer à être comprise sur le rôle des Rosiers. En décembre 1797, le département demanda à la municipalité des Rosiers de comprendre sur son rôle de la contribution personnelle et mobilière la partie réunie à Port-la-Vallée, alors que la perception était déjà commencée, ce qui mettait la municipalité dans lembarras pour changer la répartition. En décembre 1795 la municipalité des Rosiers dans lindécision ne savait plus comment répartir les charrois, et comment établir les rôles des contributions.8 La même indécision régnait à Port-la-Vallée9.
Sous lEmpire, louest de La Ménitré fit partie intégrante de Saint-Mathurin. Mais la préfecture et le ministère de lIntérieur recevaient pétition sur pétition, demandant la transformation de la paroisse de La Ménitré en commune, et ce malgré lhostilité des municipalité de Saint Mathurin et des Rosiers. Les pétitionnaires obtinrent satisfaction par la loi du 19 juillet 1824 qui créa la commune de La Ménitré par distraction de parties de Saint-Mathurin, Les Rosiers et Beaufort.10 Ces changements de limites sont à connaître, car ils jouent sur les chiffres de la population, sur la superficie de la communauté étudiée, et donc sur le calcul de la densité de population.
Le
fardeau accru du logement militaire.
Saint-Mathurin, comme le reste de lAnjou, connut des moments difficiles
à la Révolution, causées par la guerre à létranger
et par la guerre de Vendée. Le village na pas connu les combats,
même si en juin 1793 larmée vendéenne y passa pour
se rendre à Angers, après avoir pris Saumur. 11 .
Les insurgés brûlèrent une partie des registres détat
civil, et sans doute les registres de délibération de la municipalité12,
mais il ny eut aucun mort. Par contre les réquisitions furent nombreuses,
pour nourrir les troupes qui stationnaient en Anjou.
Mais surtout, à Saint-Mathurin sajoutait la lourde charge du logement chez lhabitant des troupes faisant étape. Cétait une des raisons, avec le sentiment dappartenir à une communauté distincte de Saint-Mathurin, du refus des habitants de La Marsaulaye et de La Ménitré, de sy voir incorporés.
En effet, ces soldats étaient logés chez lhabitant, ce qui engendrait une promiscuité pénible. En décembre 1794 la municipalité demandait à loccasion dune réquisition quil fut laissé du chanvre aux habitants « pour le renouvellement dune partie de leur linge qui sest trouvé confondu par le passage multipliés des troupes, auxquels à ce défaut il seroit impossible de procurer le logement, ou au moins très difficile »13.
Cette charge sétait considérablement accrue avec la guerre civile. Il fallait payer le prix dune position avantageuse, sur la levée, la plus sûre des deux grandes routes entre Nantes et Paris, et à mi-chemin entre Angers et Saumur, ce qui en faisait létape obligée entre les deux villes.
La nourriture des troupes de passage était à la charge de létapier. Ladministration générale des étapes de la Direction de Tours établissait des états des consommations prévues sur quatre mois, ce qui nous permet davoir une idée du passage. Daprès létat du 13 ventôse an 3 (3 mars 1795), Saint-Mathurin engloutissait 27 % des besoins du Maine-et-Loire, à égalité avec Saumur et Montreuil, et 22 % daprès létat du 27 nivose an 4 (17/1/1796), contre 31 % pour Saumur, plaque tournante, 17 % pour Angers, 2 % pour Beaufort.
En 1796, ces 22 % représentaient 12,5 tonnes de froment, 4,3 tonnes de seigle, 22 tonnes de foin. En mars 1796, létapier évaluait les besoins pour 4 mois à 14 tonnes de froment, 7,4 tonnes de seigle ou orge, 64 tonnes de foin.14 Un boulanger travaillait spécialement pour lui. Létapier Chassin, qui soccupait des étapes de Saumur et de Saint-Mathurin, employait 19 personnes réparties entre les deux lieux.15
On connaît le nombre de soldats faisant étape pour certaines périodes. Durant le mois de prairial an II (20 mai-18 juin 1794), 1270 hommes, plus un détachement de taille inconnue firent étape à Saint-Mathurin16. En frimaire de lan V(21/11/1796 au 20/12/1796), 1310 rations de vivres et 158 de fourrage furent distribuées17. Par contre en octobre de la même année 1796, cest une demi-brigade de 5000 hommes qui était attendue. A cette date les municipaux sinquiétaient moins du nombre dhommes attendus, que de lincertitude de leur arrivée après avoir reçu des ordres contradictoires18. Tous ces chiffres ne concernent que les hommes qui ne passaient quune journée et une nuit à létape, et non ceux qui stationnaient pour une durée indéterminée.
Les réserves prévues étaient bien insuffisantes, du fait du passage plus important que prévu, mais aussi des réquisitions destinées aux troupes en stationnement, que lon faisait puiser dans les réserves de létapier. Ainsi par exemple en janvier 1796, un « commissaire des guerres » envoyait sans prévenir à Saint-Mathurin 104 chevaux et 52 charretiers, puis 30 hommes et 80 chevaux de plus, avec ordre de les faire vivre sur les réserves des magasins de létapier19. Doù les régulières menaces de démission de ce dernier. Autre cas : le premier juillet 1796, un bataillon denviron 540 hommes « sest refusé de passer outre sans au préalable avoir reçu ici les vivres, quoique lordre de route ne le portait pas. ». Les hommes étaient excédés de fatigue et affamés, les municipaux craignaient une « disgrace de révolte » contre le commandant. Celui ci ordonna à la municipalité de fournir les rations. « Nous avons mis sur le champs en uvre le boucher et le boulanger ». Ils demandèrent au commandant de partir aussitôt après, car un autre bataillon était attendu à Saint-Mathurin le jour même, pour y séjourner20.
La correspondance de ladministration municipale puis cantonale contient de nombreux appels à laide. Ainsi le 16 mars 1795 « nous vous prévenons quaujourdhui le pain a absolument manqué, et que les citoyens chez lesquels on a adressé les militaires au défaut du boulanger font des difficultés pour y suppléer attendu quils sont eux même à cour ».21
La municipalité, remplissant le rôle antérieurement dévolu au syndic, était constamment sollicitée pour trouver un logement aux soldats, mais aussi pour trouver des vivres, létapier ny suffisant pas. En mai 1795, les officiers municipaux écrivirent :
« depuis trente mois que nous exerçons en cette commune les fonctions municipales nous avons sacrifié avec plaisir nos intérêts personnels pour lutilité public, et supporter tout le fardeau de la guerre dans une place sujet au logement. Un plus long exercice préjudiciroit absolument à nos affaires domestiques qui par la permanence active et continuelle que nous avons été obligé de tenir, sont restés en arrière, et il est dailleurs juste que chaque habitant dune même commune mette la main à luvre et supporte sa part du fardeau. »22
Les
prisonniers.
La position de Saint-Mathurin lamenait aussi à héberger
les prisonniers faisant étape entre Angers et Saumur. Ces deux villes
hébergeaient dans leurs châteaux de nombreux prisonniers anglais.
A Saint-Mathurin on les enfermait dans léglise quand ils étaient
nombreux. Le 5 mars 1798, 4 des 175 prisonniers anglais enfermés dans
léglise réussirent à prendre la fuite en fracturant
une fenêtre23.
Mais pour dautres prisonniers, Saint-Mathurin était la dernière étape. Un ancien prisonnier, qui avait fait partie dun convoi de 132 prisonniers nantais envoyés à Paris, fit publier le récit de son voyage. La scène se passe autour du 19 décembre 1793 (29 frimaire an II) :
« Nous étions arrivés à Saint Mathurin, où nous devions passer la nuit. On nous fit entre dans léglise ; on nous y apporta trois gigots, deux ragoûts de mouton, du pain et du vin. Nous faisions ce très maigre repas lorsque le commandant de la place vient nous visiter ; il reconnoît lun de nous qui lui avoit rendu plusieurs services, et quil sait être un exellent républicain. Il apprend par là qui nous sommes, ou quels nous pouvons être.
Il déclare que quinze cent homme qui sont attendus sous un quart dheure, ne nous permettent pas de rester en ce lieu, et quil faut que nous partions. Le bruit est soudain répandu quau même endroit, dans une semblable rencontre, des prisonniers, escortés par le même officier qui nous conduisoit, ont été fusillés, et quon prend des précautions pour nous épargner ce malheur ; quon va ranger la troupe en bataille à lautre extrémité du bourg, afin que nous puissions partir sans quelle nous voie. Nous nous commandons tous le plus profond silence ; la plus grande obscurité régnoit dans léglise ; les un cherchoient un asyle ; dautres examinoient par où lon pouvoit fuir ; ceux ci attendoient, sans agitation, ce quil seroit décidé de leur sort. Cependant le tambour battoit, la troupe défiloit : on ne tarda pas à ordonner notre départ. ».
Aux Rosiers « une chose nous fit bien sentir le péril où nous nous étions trouvés : lofficier municipal qui avoit pourvu à notre logement, s étonna de nous voir encore en vie. »24
Dautres prisonniers eurent moins de chance : le 18 mars 1795, les officiers municipaux de Port-La-Vallée procédèrent à la vente aux enchères des vêtements de plusieurs « rebelles », « fusillés dans leur transport de cette commune à Saumur »25.
Les habitants étaient parfois eux aussi victimes dexactions de la part de la troupe. La municipalité écrivait en mai 1795 « nous vous prions de considérer que placé sur un grand passage lieu de logement militaire, les habitants sont souvent exposés malgrés la disette universelle de donner leur pain soit par humanité soit de force, a des militaires, chartiers et autres dont les routes [feuilles de routes] ne sont pas en règle »26.
Un autre document est plus explicite : le 4 mai 1798, le commissaire auprès de ladministration cantonale écrivit quil avait dénoncé au juge de paix des soldats de la 24ème demi brigade « pour avoir frappé à coup de sabre nu plusieurs citoyens de cette commune, et notament un père de famille quils ont attaqué renversé et frappé grièvement sur la levée à huit heures du soir lorsquil se rendoit tranquillement chez lui. »27.
NOTES DE BAS DE PAGE (WEB)
1 A.D.M.L., 2 L 131.Lettres du 16/9/1790, 27/11/1791, arrêt du 23/12/1791
2 A.D.M.L., 2 L 19. « Tableau nominatif des citoyens propres à former le conseil général des communes du district dAngers » juillet 1795.
3 A.D.M.L., 1 Q 913. Pluviôse an II. Lettre des officiers municipaux de Saint-Mathurin.
4 A.D.M.L., 1 L 272. Installation de la municipalité le 7/12/1795, 16 frimaire an 4. Correspondance de Daillé commissaire provisoire du directoire exécutif auprès de ladministration du canton.
5 A..D.M.L., 5E16/30. 1/1/1769. Adjudication de biens, publiée 3 dimanches et jours de fêtes successifs à la messe de la chapelle de La Ménitré
6 Célestin Port. Dictionnaire historique et biographique de Maine-et-Loire, article « Ménitré »
7 A.D.M.L., 1 L 272. Correspondance du commissaire auprès de ladministration du canton de Port-La-Vallée, lettres du 6 nivôse an 4 [27/12/1795 ] et 22 prairial an 4 [10/6/1796]
8 A.D.M.L., 1 L 292. Correspondance du commissaire auprès de ladministration du canton des Rosiers. Lettres du 1er nivôse an 4 [22/12/1795], et 6 pluviôse an 6 [25/1/1798]. Le 4/1/1799, il précise quil na pas compris dans une évaluation des terres labourables, celles de la partie réunie à Port-La-Vallée.
9 A.D.M.L., 1 L 272. 17 nivôse an 6 [6/1/1798]. La municipalité ignore si un nouvel impôt doit sappliquer aussi à La Ménitré.
10 A.D.M.L., 1 M 5/11.
11 A.D.M.L., 1 Q 913. Lettre du 18 vendémiaire an 3, 9/10/1794. Lancien maire Lorrier déclare que sa femme « prévenu que des femmes et voitures suivaient leurs armées à l'effet de piller et voller le linge des patriote », fit construire une cache dans un faux mur, pour y mettre son linge.
12 Archives de Saint Mathurin, registre des B.M.S.,: à la fin 1791 « la présente copie a été demandée et obtenue par M. le maire de Saint Mathurin, pour remplacer le double original perdu ou incendié par les vendéens lors de leur passage à Saint Mathurin ». Leur passage peut expliquer en partie la disparition des registres de délibération de Saint-Mathurin antérieurs à lan IV. Ils avaient aussi brûlé aux Rosiers, un « cadastre » qui était sans doute, vu la date, un relevé des terres de chaque propriétaire, et non pas un cadastre comme nous lentendons maintenant. A.D.M.L., 1 L 292. Lettre du 1er nivôse an 4 (22/12/1795) du commissaire auprès de ladministration cantonnale.
13 A.D.M.L., 1 L 644. Réquisitions de chanvre. 29 frimaire an 3, 12/12/1794.
14 A.D.M.L., 1 L 711.
15 A.D.M.L., 1 L 711. Lettre du 1 mars 1796, 11 ventôse an 4.
16 A.D.M.L., 2 L 104.
17 A.D.M.L., 1 L 715. Frimaire an V : Correspond à environs 1270 hommes.
18 A.D.M.L., 1 L 711. Lettre du 27 vendémiaire an 5. 18/10/1796.
19 A.D.M.L., 1 L 711. Lettre du 11 pluviôse an 4, 31/1/1796.
20 Archives de Saint-Mathurin, 2D8. Registre de copie de la correspondance. Administration municipale du canton de Port la Vallée. Au citoyen Barré commissaire des guerres, le 26 messidor an 4, 1/7/1796.
21 A.D.M.L., 2 L 104. 26 ventôse an 3, 16 mars 1795.
22 A.D.M.L., 2 L 19. Lettre au district du 5 prairial an 3, 24 mai 1795/
23 A.D.M.L., 1 L 272. Lettre du 16 ventôse an 6, 6/3/1798.
24 Relation du Voyage des cent trente-deux Nantais envoyés à Paris par le comité révolutionnaire de Nantes, 1793. B.M.A., H (1) 2180.
25 A.D.M.L., 1 Q 913. Le 28 ventôse an III. Sans doute 5 à 10 prisonniers daprès lhabillement.
26 A.D.M.L., 2 L 53. Réponse à une enquête, du 6 prairial an 3, 25 mai 1795.
27 A.D.M.L., 1 L 272. Lettre du 15 floréal an 6, 4 mai 1798.