pageweb7 Table des matières
Page précédente
page suivante

Chapitre III Etude démographique et sociale.

1) Une population nombreuse et une forte densité.

Rôles de taille et enquêtes de l’administration.
Etablir des chiffres de population est difficile pour le XVIIIème siècle. Les sources sont rares, et souvent imprécises.

Les principales sources d’Ancien Régime sont les rôles de taille des communautés, qui indiquent un nombre de feux et non de population. Ces sources nous sont principalement connues par les enquêtes des intendants de la Généralité de Tours qui les utilisaient souvent. Voici les chiffres que j’ai pu trouver1 :

Tableau 1. Nombres de feux à Saint-Mathurin et La Marsaulaye d’après des sources fiscales 1644-1774.

Date

Saint-Mathurin

La Marsaulaye

Sources

1644

318 feux, dont 28 pauvres rayés du rôle.


Rôle de taille 1644. A.D.M.L., 5E92/7 (minutes Pierre Carré, 1643-46)

1686-1687

300 feux


« Etat de la généralité de Touraine en 1689 ». Probablement rôles de taille 1686-87

1688

205 feux

188

Enquête rétrospective de 1745 d’après les rôles de taille. Pour l’élection d’Angers les mêmes chiffres de 1688 sont donnés par un mémoire de 1691.

1700

300

130

Enquête rétrospective de 1745 d’après les rôles de taille.


(1709 ?)

204

130

Saugrain « dénombrement du Royaume », 1709. Selon Lebrun, il reprend les rôles de 1688 dans l’Election d’Angers. Ce n’est manifestement pas le cas ici.

1713

300

117

Dénombrement Desmaret 1713. Un des plus surs d’après François Lebrun.

1715

277

109

Enquête rétrospective de 1745 d’après les rôles de taille.

(1720 ?)

295


« Nouveau dénombrement » Saugrain 1720. D’après des rôles de dates diverses.

1725

299

 

« Etat des ressorts des gabelles » 1725. Intéressant car fournit des chiffres d’une source différente.

1732

302

130

Enquête rétrospective de 1745 d’après les rôles de taille.

1744

332

 

Etat du nombre des feux de chaque paroisse tiré des rôles de 1744.

1774

 

174

Rôle de la taxe pour les travaux de l’Authion, basé sur le rôle de la taille. A.D.M.L., C127. La Marsaulaye uniquement.


Les erreurs et approximations étaient nombreuses : un état de la généralité de 1689 est censé donner des chiffres tirés des rôles de taille de 1686-87, et une enquête rétrospective de 1745 les chiffres de 1688, soit respectivement 300 et 205 feux à Saint-Mathurin ! La Marsaulaye est censée passer de 188 feux en 1688 à 130 en 1700 d’après la même enquête rétrospective ! Une telle chute de la population paraît peu probable.

L’utilité de ces chiffres est donc de donner une idée de la population et non pas des chiffres précis. Ces rôles de taille excluaient les privilégiés (nobles et ecclésiastiques) et les personnes trop pauvres pour payer la taille. Mais Saint-Mathurin ne comptait que quelques privilégiés 2, et selon François Lebrun les pauvres exemptés de taille étaient rares dans les paroisses rurales. Pourtant, en 1644, 10% des feux de Saint-Mathurin ne payaient pas la taille. Mais à cette époque Saint-Mathurin commençait tout juste à être imposé pour la taille, et nous ne disposons pas de documents similaires pour le 18e siècle, qui pourraient nous renseigner sur la pérennité de ces exemptions.


Malgré ces insuffisances, on peut estimer les populations de Saint-Mathurin et de La Marsaulaye à 300 et 130 feux environs dans la première moitié du XVIIIème siècle.

En appliquant comme François Lebrun un coefficient de 4.33 personnes par feux3, on obtient 1299 et 562, au total 1861 habitants au début du XVIIIème siècle. Ces chiffres concordent avec ceux du Dictionnaire universel de la France de Saugrain, qui nous donne 1335 et 535 habitants, soit au total 1870 habitants4.

Utilisation des actes de baptême.

Face à la difficulté de procéder à de grands dénombrements, des intendants et des démographes du 18e siècle mirent au point une méthode pour évaluer la population à partir du nombre moyen des naissances, grâce à un « multiplicateur universel ». Le produit de ce nombre et du nombre annuel des naissances en un lieu donné, devait donner une approximation de la population totale. Le principal problème était de déterminer un coefficient sûr. Il était estimé selon les enquêtes, et suivant les régions, entre 23 et 30. Celui utilisé dans le « tableau de la généralité de Tours » de 1762-66 5 était de 23 2/3. A la fin du XVIIIème siècle , les estimations pour la population rurale étaient habituellement de 25 ou 26.6


Un inconvénient résidait dans la tenue plus ou moins rigoureuse des registres paroissiaux. Certains registres omettaient de nombreuses « petites sépultures » d’enfants. Cependant les registres de baptême de Saint-Mathurin comportent de nombreuses indications d’enfants ondoyés à la naissance, au XVIIIème siècle tout au moins, ce qui atteste de la tenue régulière des registres.

Pour calculer le nombre de naissances, j’ai utilisé les « tables décennales » de l’Association généalogique de l’Anjou. J’ai multiplié le nombre de naissances sur 10 ans par les coefficients 23,66 et 25, puis j’ai divisé le résultat par 10.

Dans le tableau ci-dessous j’ai ajouté le nombre de sépultures durant les mêmes périodes.

Tableau 2. Evaluation de la population à partir du nombre de naissances trouvées dans les tables décennales. 1670-1789.


1670-1679

1680-1689

1690-1699

1700-1709

1710-1719

1720-1729

1730-1739

1740-1749

1750-1759

1760-1769

1770-1779

1780-1789

Sépulture

 

 

 

826

718

697

816

643

619

716

718

773

Naissances

790

568

664

984

721

847

857

755

776

727

878

836

Coefficient 23,66

1869

1343

1571

2328

1705

2004

2027

1786

1836

1720

2077

1978

Coefficient 25

1975

1420

1660

2460

1802

2117

2142

1887

1940

1817

2195

2090


A première vue la population croît fortement entre 1690 et 1700-1709, pour décroître en 1710-1719. Pourtant la fin du règne de Louis XIV est marquée par de graves crises. En Anjou les épidémies, disettes et chertés provoquées par des saisons pourries se succèdent en 1707-17157. Cette période est d’autant plus difficile pour les habitants de la Vallée, que s’y ajoutent quatre terribles inondations, suite à des ruptures de la levée, en 1707, 1709, 1710 et 1711. Enfin ces années pluvieuses étaient particulièrement néfastes dans la Vallée, du fait des fréquentes inondations de l’Authion, qui détruisaient les récoltes et empêchaient les semailles.

La forte natalité pourrait avoir une autre explication : une forte hausse de la mortalité infantile, liée aux disettes et épidémies, qui touchent les constitutions les plus fragiles. Cette mortalité infantile aurait provoqué une hausse de la natalité, avec l’arrêt de l’allaitement. Mais seule une étude des « petites sépultures » et de l’intervalle inter-génésique pendant cette période pourrait confirmer cette hypothèse.


Malgré ces incertitudes, il apparaît que la population reste au XVIIIème siècle proche de 2000 habitants. Elle paraît remonter légèrement dans les 20 dernières années de l’Ancien Régime, mais l’imprécision de cette source ne permet pas d’en dire plus pour l’instant, d’autant qu’un « multiplicateur universel » correct au début du siècle pourrait s’avérer faux à la fin (ou inversement), suivant l’évolution du taux de fécondité.

La statistique des paroisses de 17878 donne le chiffre de 2000 habitants à Saint-Mathurin et La Marsaulaye. L’imprécision montre qu’à cette date les recensements n’avaient encore été réalisés. Quelques années plus tard apparurent de nouvelles sources beaucoup plus précises.


Les sources révolutionnaires.
- L’enquête de 1790 ou 1791 sur la population indigente.
C’est la première enquête donnant des chiffres sérieux de population, et non de feux, pour chaque commune du département.9

Cette enquête précise aussi le nombre des ménages, des habitants ne payant aucune taxe, de ceux qui paient l’équivalent d’un ou deux jours de travail, des infirmes, etc. Les enquêteurs paraissent avoir utilisé un recensement de la population électorale. En effet seuls les habitants qui payaient l’équivalent de trois journées de travail pouvaient voter.10

Cette enquête donne les chiffres suivants :
- Saint-Mathurin 1692 habitants
- La Marsaulaye 700 habitants
- Total 2392 habitants.

La population de la Marsaulaye est sans doute une simple estimation.

Les « ménages ».
L’enquête avance les chiffres de 434 ménages à Saint-Mathurin et 206 à La Marsaulaye.
Se pose la question de savoir si les « ménages » dénombrés dans ce recensement correspondent à des « feux », ou à des couples, et si certains ménages étaient regroupés dans le même feux. Le nombre d’habitants par ménage serait de 3,899 à Saint-Mathurin et 3,398 à La Marsaulaye. Ces chiffres sont très faibles, surtout à La Marsaulaye, et pourraient dans cette communauté provenir d’une sous-estimation de la population.

Si ces chiffres correspondent à des feux tels que les entendaient les rédacteurs des rôles de taille du 18e siècle, ils remettent en cause la valeur des coefficients utilisés plus haut pour calculer la population à partir du nombre de feux, alors que les résultats obtenus à partir des baptêmes sont proches. On pourrait aussi en déduire une forte hausse de la population dans la seconde moitié du XVIIIème siècle (332 feux en 1744, 434 en 1790).

Mais il est également possible que le nombre de feux fiscaux soit moindre que le nombre de ménages au début du XVIIIème siècle, à cause de ménages pauvres exemptés d’impôts, comme nous l’avons vu en 1644.


- Le recensement des grains, des farines et de la population du 30 ventôse an II (20 mars 1794)11
Il donne des chiffres proches du précédent recensement, quoiqu’un peu inférieurs : 1645 habitants pour Saint-Mathurin, soit 418 ménages. Le document est précis, et donne le nombre de personnes dans chaque ménage, ainsi que leurs réserves en grains. La population est répartie par canton, ce qui permet de vérifier que le village de La Ménitré n’est pas compris dans ce recensement.
Si on reprend le chiffre de 700 habitants à La Marsaulaye, la population de Saint-Mathurin et La Marsaulaye réunis était de 2345 habitants.
Malgré des doutes sur l’équivalence entre feu et ménage, ces deux derniers documents confirment une augmentation de la population à la fin du siècle.
Peu de temps après, l’annexion de La Marsaulaye et d’une partie de La Ménitré augmenta artificiellement la population de Saint-Mathurin, qui passa à 2950 habitants en 180112.


Une forte densité de population.
Selon François Lebrun, la Vallée de la Loire était au XVIIIème siècle la région la plus densément peuplée de l’Anjou. D’après des chiffres de feux de 1688-1691, il a évalué la densité de population de la Vallée à 82 hab./km2, contre 57 en Saumurois et Layon, 51 entre Mayenne et Loir, 31 dans le Craonnais et Segréen, 30 dans le Baugeois et 29 dans les Mauges.13

Une population moyenne de 2000 habitants à Saint-Mathurin impliquait effectivement une très forte densité. En s’appuyant sur la superficie actuelle de 1984 hectares (20 km2), on obtient pour 2000 habitants une densité de 100 habitants au km2, et pour 2345 habitants en 1794, 117 hab./ Km2, ce qui est énorme pour une paroisse rurale.

J’ai pu faire une estimation de la population de quelques paroisses voisines en 180114 :

Les Rosiers15 82 hab./km2
La Bohalle 99 hab/km2
La Daguenière 63 hab./km2
Saint-Clément-des-Levées 143 hab./km2
Saint-Martin-de-la-Place 75 hab./km2
Mazé 112 hab./km2
Corné 117 hab./km2
Andard 90 hab./km2
Brain-sur-l’Authion 58 hab./km2

La Daguenière comprenait une partie de la région la plus inondée de la Vallée, et son territoire était couvert de vastes prairies, d’où une densité plus faible. Même chose pour Brain, dont le bourg est situé sur un coteau, mais qui englobe de nombreuses prairies dans la partie basse de la vallée, atteignant même la frontière de la commune de Saint-Mathurin. D’où des densités plus réduites. Par contre à Saint-Clément la population est composée majoritairement de mariniers. Elle est donc moins dépendante de la terre, ce qui autorise une densité de population plus importante.16.

François Lebrun attribue la forte densité des communes de la Vallée à une agriculture intensive reposant sur un très bon sol, l’alternance opportune des cultures et l’emploi massif des engrais animaux. Nous aborderons plus loin l’agriculture à Saint-Mathurin, et nous vérifierons que ce jugement est parfaitement justifié.


NOTES DE BAS DE PAGE (WEB)

1 Chiffres trouvés (sauf quand la référence d’archives est donnée) dans l’ouvrage de François Lebrun : Paroisses et communes de France. Maine et Loire. Pour plus d’informations sur les enquêtes statistiques, voir, du même auteur, Les hommes et la mort en Anjou au 17e et 18e siècle, pages 144-156, et  « Les grandes enquêtes statistiques des XVIIe et XVIIIe siècles sur la généralité de Tours »  A.B.P.O. 1965, pages 338-345.
2 Les 3 vicaires seulement en 1789 d’après la statistique des paroisses. A.D.M.L. : C 320
3 Sur ce point particulier, François Lebrun  Les hommes et la mort en Anjou aux 17e et 18e siècle, page 149 note 30 : dénombrement Election de La Flèche en 1761 : 4 pers. ¼ par feux. Election de Château-Gontier en 1763 : 4 pers. 2/3 par feux.
4 Saugrain.  Dictionnaire universel de la France ancienne et moderne et de la nouvelle France 1726. Articles « St Remy et St Mathurin », et « La Marsantays » (au lieu de La Marsaulaye ). Malheureusement l’auteur ne donne pas ses sources.
5 François Lebrun  « Les grandes enquêtes statistiques des XVIIe et XVIIIe siècle sur la généralité de Tours » A.B.P.O. 1965, page 344
6 Jacques Dupâquier  Histoire de la population française . T.2, De la Renaissance à 1789. Page 40
7 François Lebrun  Les hommes et la mort en Anjou aux 17e et 18e siècles. pages 137 et 358 à 366.
8 A.D.M.L. : C320. Statistique des paroisses, Saint-Mathurin.
9 A.D.M.L. : 1 L 402
10 J. George Histoire des maires. 1789-1939 page 30.
11 A.D.M.L., 2 L 52
12 François Lebrun, Paroisses et communes de France. Maine et Loire, article « Saint-Mathurin ».
13 François Lebrun, Les hommes et la mort en Anjou aux 17e et 18e siècles page 149. Il utilise un mémoire de 1691 corrigé par un état de 1688-89 et les chiffres de feux de 1688. Il ne précise pas les limites exactes qu’il donne à la vallée.
14 François Lebrun. Paroisses et communes de France. Maine et Loire, article « Saint-Mathurin », et Célestin Port Dictionnaire Historique et Biographique de Maine et Loire. D’après les articles des différentes communes concernées.
15 La population de cette commune est de 3793 habitants. En évaluant à 400 hectares la partie de La Ménitré annexée provisoirement par Saint-Mathurin, et à 100 hectares la partie de Beaufort intégrée à La Ménitré en 1824, on peut estimer la superficie de cette commune à 3111 hectares en 1801, ce qui donne une densité de 82 hab./km2. (Superficie évaluée d’après les cartes du cadastre napoléonien, A.D.M.L. : 3P4/273/1).
16 Bénédicte Dezanneau. Les hommes et la Loire à Saint-Clément-des-Levées 1750-1789.